Les jeux vidéo ? Et si on en parlait… Episode 1
Introduction
Ce post constitue le début d’une petite série qui reprendra certaines choses déjà écrites ici et là, en résumera d’autres et enfin reformulera certaines…
Donc les jeux vidéo, et si on tentait d’en parler… différemment. Mais Tout d’abord, en parler n’est peut-être pas si aisé actuellement. Pourquoi ?
Tout d’abord peut-être à cause de la doxa médiatique qui fait grand bruit actuellement.
Le psychologue Guillaume Gillet a publié un très bon post intitulé Pourquoi avons-nous peur du numérique et du jeu vidéo ? que je vous invite à lire. Outre le fait qu’il y propose des hypothèses très intéressantes concernant une approche psychodynamique du jeu vidéo, il pointe certains a priori sociaux vis à vis de cet objet, mais également du côté des cliniciens.
Une seconde raison, un peu plus périphérique mais souvent ignorée, est qu’il est difficile d’en donner une définition stricte, autrement dit de définir clairement les contours de cet objet. Un livre récent, Philosophie des jeux vidéo, écrit par Mathieu Triclot, en donne une démonstration des plus intéressantes, en particulier dans le chapitre 1. « Play Studies » (p.13 à 34).
La troisième raison est que l’industrie du jeu vidéo est actuellement lancée dans un processus actif de légitimation culturelle sur le plan social. Processus accompagné par la communauté des joueurs qui cherche également à se faire entendre face à certains discours tendant à faire des jeux vidéo un risque pour la jeunesse. Il suffit alors parfois d’essayer simplement de penser l’objet pour, soit d’un côté, être taxé de prosélyte lorsque vous relevez certains aspects plutôt positifs de son utilisation ou certaines de ses propriétés, soit, à l’inverse, vous rendre coupable aux yeux de certains lorsque vous pouvez en déplorer d’autres…
Cela dit, il est ensuite d’usage de rappeler symboliquement à propos de la place qu’occupe le jeu vidéo comme loisir que le chiffre d’affaire de cette industrie a désormais dépassé celui des salles de cinéma. Il est en effet aujourd’hui l’une des industries culturelles les plus importantes au monde. En 2008, il représentait près de 33 milliards d’euros de chiffre d’affaires avec, en tête, les Etats-Unis. Les cinq dernières années ont été marquées par l’élargissement considérable de la population des joueurs : alors que le jeu vidéo était auparavant réservé à un public initié, jeune et masculin, il s’adresse désormais à « tout un chacun » à mesure que l’utilisation des technologies se généralise, que les plateformes de jeux sont plus nombreuses (PC, console de salon, console portable, téléphone mobile) et que les constructeurs proposent des systèmes de jeux innovants et plus accessibles (exemple de la Wii de Nintendo).
Si les jeux vidéo n’appartiennent pas (encore) à la culture de la plupart des psychanalystes et des psychologues, ils n’en font pas moins partie de celle des enfants que nous recevons en consultation, et d’ores et déjà de bon nombre d’adultes. Le jeu vidéo, anciennement pratique minoritaire, est en effet en passe d’appartenir à la culture commune, sinon en tant que pratique du moins en tant qu’univers culturel.
Aussi pour commencer, Il me semble nécessaire de rappeler que cette question des jeux vidéo est à traiter comme un fait social complexe, qui demande par ailleurs une approche sociologique critique minutieuse, et non simplement psychologique ou psychanalytique. Il faut ainsi replacer le discours « psy » au sein des autres discours pour continuer à étudier sérieusement cet objet, et associer à l’analyse clinique, des analyses du contenu des jeux, ou encore des idéologies sur lesquelles ces derniers s’appuient.
Pour de bons exemples d’analyses de contenu, on peut lire la revue : Les cahiers du jeu vidéo. Des revues académiques ont émergé et des manifestations scientifiques sont à présent régulièrement organisées. Ce courant est cependant beaucoup plus développé dans les pays anglo-saxons, même si la recherche francophone semble chercher à s’affirmer, notamment avec les chercheurs de l’OMNSH.
Je pense qu’il faut donc apprendre à distinguer les différentes pratiques de jeu vidéo. Jouer chez soi, devant un ordinateur ou une console, à l’école, avec une console portable, dans une salle d’arcade, à des jeux qui se jouent seul, avec des histoires très travaillées, ou en réseau en ligne via internet. Toutes ces pratiques ne renvoient pas à la même réalité clinique du jeu vidéo.
Pourquoi distinguer cliniquement les différents types de jeux ?
Guillaume Gillet dans Pourquoi avons-nous peur du numérique et du jeu vidéo ? préfère par exemple parler DU jeu vidéo car cela signifie pour lui mettre l’accent sur les processus psychiques qui accompagnent ou permettent l’activité de jouer à un jeu vidéo, et non sur l’objet jeu vidéo. Il nous dit à ce sujet : « Tout en reconnaissant l’importance de ces multiples critères de distinction, l’emploi du singulier pour parler de Jeu vidéo se justifie par une volonté de ne pas focaliser notre attention sur « l’objet Jeu vidéo » en lui-même, au sens d’un assemblage de matière créé et utilisé dans un but précis. Sans négliger toutefois les qualités intrinsèques de cet objet singulier, l’approche psychodynamique du Jeu vidéo nous invite plutôt à nous intéresser à l’activité DE Jeu vidéo qui relève d’un ensemble de préparatifs, de paramètres et de processus tout à fait complexes, dont les effets ne s’observent qu’en interaction et par conséquent que dans le présent de l’activité de jeu. »
Pour ma part, je suis tout à fait d’accord avec lui. Car distinguer les jeux vidéo pour moi a précisément pour but de pouvoir parler de cette activité du joueur. En effet, si l’on apprend à distinguer LES jeux vidéo, il est alors possible de mieux cerner ce que fait tel sujet avec cette activité. Ce qui m’intéresse, ce ne sont pas les genres de jeu vidéo, ou encore les jeux sur console ou sur PC, etc, bref l’objet jeu vidéo en tant que tel, mais pourquoi tel sujet se met à investir les MMORPG, tandis que tel autre se met à jouer à des jeux d’arcade, et ainsi s’intéresser à la fonction de l’avatar, la façon de perdre, les angoisses spécifiques liées éventuellement au gameplay que le sujet peut évoquer, etc.
Je crois également que concernant cette distinction DU ou DES jeux vidéo, on recroise finalement là une question qui parcourt les sciences dites humaines. J’avais publié un post titré Connaissance de l’individu – une étude inachevée autour de la démarche clinique qui tentait d’approcher justement la question du général et du particulier au sein de démarche clinique. Si l’on se réfère à la psychanalyse, peut-on tirer un savoir général ? Ou est-on cantonné à ne traiter que du cas par cas ? Comment généraliser ce que l’on peut apprendre du cas particulier ? Ou au contraire particulariser, dans le cadre d’un objet tel que celui de la psychanalyse ? etc.
Partant de la méthode du cas par cas (ce que fait la démarche psychanalytique), je pose donc que ce qui est intéressant pour l’analyste, c’est ce que fait un sujet de cet objet. Donc il me semble qu’il faut pouvoir distinguer (ce que ne peut faire quelqu’un qui parlerait DU jeu vidéo en tant qu’objet sans possibilité d’en distinguer les spécificités) et parler DES jeux vidéo, c’est-à-dire finalement pour moi, du jeu vidéo en particulier qui va être utilisé par tel sujet, dans tel contexte. Mais posant que cette démarche clinique du cas par cas s’inscrit tout à fait (quoiqu’on en dise aujourd’hui) dans une démarche scientifique, je ne m’oppose pas du tout au fait de pouvoir généraliser par la suite, et donc de parler DU jeu vidéo dans un seconde temps, comme peut le faire Guillaume Gillet.
Ceci posé préambule, je continuerai à cartographier quelques enjeux qui me sont apparus intéressants depuis que je me suis penché sur cet objet et cette pratique.
Les jeux vidéo ? Et si on en parlait … Episode 2
mot(s)-clé(s) : Guillaume Gillet, jeux vidéo, Mathieu Triclot, OMNSH
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Bonsoir Vincent,
tout d’abord, merci pour ce début de développement tout à fait prometteur.
J’entends bien combien ma approche résolument et prétendument psychodynamique /psychanalytique ne recouvre qu’une infime partie de ce que nous pouvons dire du Jeu vidéo.
Je crois tout à fait important de distinguer, comme tu le proposes, ces différents types d’approches et de ne pas tomber dans une idéologie qui tantôt glorifierait le Jeu vidéo et tantôt le diaboliserait.
Si nous parlons, comme je le propose dans la suite des travaux de l’école Lyonnaise de Psychanalyse et de l’Université Lyon II, de médiation ou de fonction médiative ou d’utilisation de l’objet Jeu vidéo dans un cadre thérapeutique à médiation, je crois qu’il est très important de garder à l’esprit que nous en sommes encore au niveau de la recherche et que nous ne disposons pas de suffisamment de recul pour pouvoir nous positionner clairement par rapport à cet objet.
Pour rappel, la médiation c’est un objet, un cadre, un dispositif, un ou des thérapeute, une activité autour et avec l’objet, la parole et ce que l’on dit de ce qui se joue : c’est offrir au sujet la capacité de dire quelque chose sur ce qui sous-tend l’activité de Jeu, donc de symboliser la symbolisation (R. ROUSSILLON).
Je te rejoints également sur le « retard » que les cliniciens ont vis-à-vis du numérique mais j’y ajouterai un bémol car ceci est observable chez les cliniciens d’orientation analytique. Les psychologues cognitivistes ou les neuropsychologues sont beaucoup plus familiers des nouvelles technologies avec lesquelles ils travaillent de puis longtemps. Le poids de l’héritage psychanalytique, lui même sous-tendu par une certaine conception littéraire et philosophique de l’humain, n’est peut-être pas étranger à notre difficulté à penser l’objet technologique de manière générale, et a fortiori dans nos dispositifs de soins…?
Enfin, il est selon moi primordial de travailler avec le Jeu vidéo ou à partir de ce qui se dit du jeu vidéo selon une approche bidimensionnelle :
en tant que matériel utilisé concrètement, en lien avec la sensorimotricité et en tant que logiciel.
puis, en tant que Jeu vidéo singulier (l’ensemble de l’activité du Jeu) tout en tenant compte bien sur et simultanément du genre de Jeu. Ces deux points de vues doivent être dialectisés et non pas mis dans un rapport d’opposition.
NB : je suis en train d’élaborer un article qui traite justement de l’émergence des processus psychiques à travers l’histoire du jeu vidéo et son évolution.
Il est vrai que la psychologie cognitive est plus familière avec le numérique. Une raison qui me semble importante par rapport à ça, c’est la réception des travaux de Turing. Ces travaux sont importants dans le fait qu’ils ont été utilisés pour asseoir une autre conception du psychisme que celle de la psychanalyse, et qui a donné la fameuse métaphore de l’ordinateur pour se figurer l’esprit.
Je ne crois pas que l’héritage psychanalytique soit un poids. Au contraire, c’est une chance, et une ouverture.
Et il suffit d’aller lire Lacan, et même Freud, pour voir que la psychanalyse n’a jamais cessé de tenter de dialoguer avec les sciences les plus en pointe de leur temps. Lacan s’est très tôt intéressé à la cybernétique par exemple, et s’en est servi pour construire ou reconstruire une théorie de l’inconscient qui reste tout à fait intéressante.
Et j’ajouterai également qu’il est également préférable de maintenir également un oeil averti sur les arts, et la philosophie en tant que clinicien. Là aussi, ce n’est pas du tout un frein à mon sens. C’est même plutôt le drame actuel que de tenter d’évincer une partie de la culture au nom d’une certaine idée de la science…
Je te rejoins par contre sur cette approche bi-dimensionnelle.
Je voudrais pour ma part avancer sur l’aspect du plaisir quant aux jeux vidéo…
Bonsoir,
je crois que cette piste sur l’aspect du plaisir est prometteuse !
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[...] livre de Mathieu Triclot, Philosophie des jeux vidéo, que j’ai déjà cité au premier épisode, est encore une fois un bon exemple. Mathieu Triclot, est maître de conférences en philosophie à [...]
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