Yann Leroux : « Le jeu vidéo comme support d’une relation thérapeutique » – Grégoire Latry et Vincent Le Corre
Grégoire Latry et Vincent Le Corre
Paris, le 24/07/2011.
Yann Leroux : « Le jeu vidéo comme support d’une relation thérapeutique », Adolescence n° 69, 2009. L’article est disponible ici : http://fr.calameo.com/books/000007709ed71133a6b10
Pour Yann Leroux, le jeu vidéo est tout d’abord à replacer au sein de la culture, comme les autres médias avec lesquels il interagit avec aisance, avant d’essayer de le saisir comme objet de médiation dans la relation thérapeutique. C’est une des raisons pour lesquelles nous avons choisi de présenter cet article qui représente selon nous une troisième voie de théorisation. En effet, en tant qu’objet culturel, l’histoire même de cet objet, et particulièrement ses liens avec la culture dans laquelle sont plongés les sujets qui l’utilisent, possède une valeur importante dans son utilisation au sein d’un cadre thérapeutique.
Dans ce texte, les adolescents adressés au groupe présentent de fortes inhibitions et c’est le jeu ICO qui, encore une fois (Stora l’avait déjà utilisé, Histoire d’un atelier jeu vidéo : « Ico », un conte de fée interactif pour des enfants en manque d’interactions) est choisi pour ses thématiques aux allures de conte qu’il propose. Pour l’auteur, le jeu vidéo apparaît comme un soutien pour le « passage d’une intelligence sensori-motrice à la représentation »[1] en déplaçant le joueur « du statut d’actant à celui de spectateur »[2]. Mais le jeu vidéo est aussi à envisager par le biais du récit fictionnel qu’il propose, c’est à dire comme un lieu où se joignent des références culturelles, des valeurs et, principalement, des mythes. ICO est ainsi un exemple type de jeu vidéo faisant appel aux mythes. Si le mythe « ordonne les angoisses où tout être humain se reconnaît »[3], certains jeux vidéo peuvent donc être utilisés en ce sens, pour faciliter les apprentissages par exemple, en ordonnant les angoisses archaïques des joueurs.
Mais utiliser les jeux vidéo n’est pas en soi thérapeutique, souligne très justement Leroux. Il est donc nécessaire de se construire au préalable un « appareil de travail »[4], pour contenir, tout en représentant les processus inconscients, et surtout un lien de parole pour que le travail de symbolisation soit opérant. Ainsi, le jeu vidéo n’est d’emblée ni un espace transitionnel, ni un espace thérapeutique.
Le travail de groupe qu’il propose se fonde sur différents dispositifs pour tenter de construire cet « appareil de travail » :
La technique du territoire[5] où chaque participant est « propriétaire » d’un matériel identique (la sauvegarde dans ce cas) qui définit son territoire par rapport au territoire commun (la sauvegarde du groupe) et au territoire des autres participants (leurs propres sauvegardes). Le choix du territoire (commun ou individuel) et sa gestion sont des indicateurs de la dynamique consciente et inconsciente de l’individu dans le groupe.
La technique du psychodrame psychanalytique de groupe pour l’alternance entre temps de jeu et temps de parole. La parole pouvant être introduite aussi pendant le jeu par la description faîte par le psychologue des actions entreprises par le joueur. Le bouton pause est aussi utilisé pour expliquer un moment clef du jeu. La parole du psychologue intervient alors pour faire lien entre le joueur et le reste du groupe, formant une cohésion de groupe autour d’un récit commun raconté par le thérapeute.
Enfin, le travail de médiation d’objet ; les jeux vidéo, comme tous les objets, « sont une exigence à la symbolisation ». Mais plus précisément, ils sont à la fois des objets concrets (manettes, consoles…) et subtils (images, musiques…). Et c’est en raison de ce métissage, que tente de cerner la notion de gameplay, que les jeux vidéo peuvent être « de bons candidats pour la médiation »[6].
L’enjeu de ce cadre est de pouvoir suivre les processus groupaux et individuels au travers de l’utilisation du territoire, des investissements objectaux au sein du jeu (envers les personnages) et dans le groupe, du passage de processus primaires (l’acte en image) à la symbolisation par la parole (construction d’un récit fantasmatique à partir du matériel représentatif du jeu) et de la réflexivité du jeu sur le narcissisme du sujet.
Le jeu vidéo mélange différents espaces (espaces temporels, psychiques et physiques) qui restent liés grâce au cadre culturel. C’est l’idée d’un ludopaysage, une notion proposée par Leroux dans un autre article[7], qui nous semble être une piste à approfondir. Il y définit le ludopaysage comme suit : « En référence aux travaux de Daniel Stern (2004), je propose d’appeler ludopaysage cette configuration complexe qui mêle un dispositif informatique, des éléments de la culture, et l’espace interne de chacun, sensible aux aléas de sa météo personnelle. »
En effet le jeu vidéo est bien un lieu « étrange » d’où peut émerger et s’inscrire la réalité psychique d’un sujet inscrit lui-même dans sa culture. Le temps du jeu n’est pas celui du « temps social ».
L’intrication, qui pousse à la continuité corporelle, entre le joueur, sa machine et la représentation (à l’écran) oblige à penser autrement la représentation et la sensation du soi.
« Qu’est-ce que moi-même quand je joue ? Où suis-je, et quand ? Ne suis-je pas aux deux extrémités de ce dispositif, devant et derrière l’écran ? ».
Autant de questions que ravive l’expérience vidéoludique. Le jeu vidéo est proche de la réflexivité du miroir, le sujet s’aliène à l’image, et pourtant, la vie propre aux héros du conte qu’est le jeu vidéo soutient la séparation entre moi et lui (le personnage du jeu).
Alors le ludopaysage devient le lieu de l’intersubjectivité, le lieu de l’autre. Comme le dit Leroux, le jeu vidéo n’est pas interne, il n’est pas un rêve, c’est un objet externe, un espace qui peut devenir une aire intermédiaire d’expériences.
Nous essayons donc de poursuivre son travail sur les distinctions de différents niveaux d’élaboration psychique dans « Esquisse pour une métapsychologie du jeu vidéo comme objet de médiation thérapeutique ».
[1] Y. Leroux, « Le jeu vidéo comme support d’une relation thérapeutique », in Adolescence, 2009, 27, n°3, p. 700
[2] Y. Leroux, « Le jeu vidéo comme support d’une relation thérapeutique », in Adolescence, 2009, 27, n°3, p. 700
[3] Y. Leroux, « Le jeu vidéo comme support d’une relation thérapeutique », in Adolescence, 2009, 27, n°3, p. 700
[4] A partir de la notion d’ « appareil psychique groupal » développée par Kaës.
[5] Privat et Quélin-Souligoux, L’enfant en psychothérapie de groupe, 2000, Dunod.
[6] Y. Leroux, « Le jeu vidéo comme support d’une relation thérapeutique », in Adolescence, 2009, 27, n°3, p.703
[7] Y. Leroux, « Le jeu vidéo, un ludopaysage », in Enfances&Psy, 2008, 1, n°38.
mot(s)-clé(s) : Grégoire Latry, jeu vidéo, ludopaysage, médiation thérapeutique, Mickael Stora, nicolas esposito, Quélin Souligoux, yann leroux
You can leave a response, or trackback from your own site.