Thomas Gaon et la violence dans les jeux vidéo

Thomas Gaon a été interviewé par le site GAMEBLOG : www.gameblog.f

Sa conclusion est tout à fait intéressante. D’une part, rappeler que l’on ne peut pas réfléchir lorsqu’on a peur, et d’autre part, que le jeu vidéo, comme objet culturel, nous renseigne sur notre société, sur les représentations qui y circulent, et donc sur les représentations qui nous fabriquent. C’est dans ce sens que je construis ce blog, c’est à dire avec ce désir de déconstruire et de construire les outils qui nous permettraient de mieux appréhender à la fois les objets qui nous entourent, comme les jeux vidéo, mais aussi les films (comme ici avec la franchise SAW : Bonheur, devoir et corps supplicié : Saw, un nouveau cycle cruel), mais aussi les sujets qui en font des objets de satisfaction.

Il commence par rappeler à juste titre que l’impact de la violence des images dépend avant tout de l’histoire, de l’environnement et des autres auxquels s’identifient le sujet. Il parle également, outre la question importante des MMORPG que je ne développerai pas ici, de la panique morale concernant la violence dans les médias, et les attaques régulières des associations de famille. Et replace cette aura sulfureuse des jeux vidéo dans une histoire plus longue qui a montré que le cinéma, le rock’n roll dans la musique, la bande-dessinée, ont toujours mis du temps avant d’acquérir une certaine légitimité.

Il rappelle les deux menaces que l’on fait porter également sur ces médias  :

  • L’ »effet d’entraînement », la mimèsis, qui donc veut désigner un phénomène d’entraînement de personnalités fragiles dans des conduites qui les écarteraient de la vie sociale (le bovarysme par exemple, mais on retrouve déjà le thème dans Don Quichotte, je crois, au sujet des effets de la lecture des romans de chevalerie que le héros de Cervantès affectionne particulièrement et qui l’entraîne vers les aventures que l’on connaît…)

Mais ce qui m’intéresse ici : c’est la question des limites aux jeux vidéo ou dans les jeux vidéo d’un point de vue ludique. L’intervieweur demande s’il ne faudrait pas réguler en somme la violence des jeux vidéo, est-ce que la limite pourrait être par exemple la torture ?

Thomas Gaon répond tout d’abord que c’est une question morale. Et il a raison. Le psychanalyste n’est pas un prescripteur de conduites. Certains se laissent aller parfois à prescrire des normes (parentalité, sexualité, etc.), mais nous ne sommes plus du tout dans notre fonction dans ces moments-là.

Puis il explique que nombre de jeux, tels que GTA IV ou Manhunt, ont surfé sur des buzz concernant leurs aspects transgressifs, et que les adolescents, particulièrement, n’ont pu être qu’attirés par la suite par des objets désignés comme interdits.

Mais en fait pourrait-on répondre autrement, par exemple par le fait que la torture pourrait être une limite inhérente au jeu lui-même, où il sera peut-être difficile à un game designer (outre de prendre le risque de voir son jeu interdit, et de perdre ainsi de l’argent, donc de s’exposer à des risques économiques) de rendre de toute façon la torture jouable et source de plaisir. Je pense que les limites pourraient être inhérentes à la conception même d’un jeu, c’est-à-dire à ce qui rend un jeu jouable. En tout cas, cela pourrait être une hypothèse. Je ne connais pas jeu vidéo où la torture est incluse dans le gameplay ?

Connaissez-vous des jeux où la torture existe ?

Dans le cas des adaptations de SAW. Il me semble que la torture n’existe pas, comme dans les films qui misent sur sa mise en scène. Mais pourrait-on l’y inclure, en jouant à être Jigsaw et en construisant par exemple les dispositifs de torture ? Outre le plan moral, j’aimerais avoir des avis quant à une réponse que l’on pourrait situer sur le plan du gameplay par exemple…

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6 réponses à “Thomas Gaon et la violence dans les jeux vidéo”

  1. #1. jcdardart le 22 février 2011 à 21 h 59 min

    Eh bien voici donc mon premier commentaire par ici.

    Pour commencer l’on pourrait débattre des heures je pense sur le débat entre mimésis et catharsis : là encore cela dépend du sujet et plus précisément dans sa fonction de pare-excitation.

    Mais je vais surtout répondre à la question de fin d’article sur la torture dans les jeux. L’exemple que je vias prendre est un jeu que j’ai énormément apprécié : Bayonneta.

    Dans ce jeu, bien que ça ne soit pas le cœur du gameplay : on peut finir certains ennemis communs avec des appareils de tortures teinté d’humiliations et les boss se finissent tous par une cinématique interactive où le terrible monstre gigantesque se fait torturer et humilié par une invocation de l’héroïne.
    En tant que joueur vient un mélange de jubilation, de rire et à la fin de pitié.
    En pourrait alors penser à un plaisir purement sadique, jouant sur le plaisir de faire du mal.
    Mais Bayonnetta offre d’autres dimensions notamment stylistiques. Ces tortures sont tellement exagérés et burlesques qu’on jubile aussi de voir que le directeur artistique a osé aller aussi loin dans le grotesque et la série Z,. De plus l’héroïne très sexualisé et provocatrice par son attitude, mêle une destruction fantasque avec un contenu sexualisé. J’ai lu un test qui résumer les choses ainsi  » il n’a jamais été jouissif d’incarner une garce ».
    Ce jeu joue à la fois sur du sexuel sadique et génital mais secondarisé par un choix très particulier de mise en scène à la fois kitsch et élégant. Je pense que ce qui rend supportable la torture c’est sa stylisation (donc secondarisation)
    Tisseron souligne d’ailleurs le fait que une image violente stylisée est par la même atténuée.

    Un autre aspect de la jubilation de la torture des ennemis (qui sont des anges et quelques démons) provient du gameplay même qui favorise et récompense un jeu au fil du rasoir. Notre héroïne est provocatrice par le son comportement mais aussi parce que le joueur est poussée à éviter le dangers au dernier moment. En évitant au dernier instant l’attaque (enfin les attaques) d’un ennemi, on ralentit le temps. Temps précieux permettant d’éviter de nombreuses autres attaques simultanées mais aussi de donner plus du coup à ses ennemis. Dans ce jeu le rythme est effrénée, les mêlés ennemis gigantesques et l’insolence de l’héroïne à son comble. Ainsi quand vient après tant d’efforts, mais dans la provocation, le moment de l’humiliation, le joueur ne peut être ravi.

    Je pense qu’une simple torture de pixel pris dans une mise en scène « réaliste » et un gameplay ordinaire aurait rendu le jeu soit peu intéressant soit peu supportable.

    Donc les limites ne se pensent que dans la façon dont le gameplay est pensé et le mise en scène stylisée.

    En prenant un exemple tiré du cinéma et chez un cinéaste socialement valorisé, en la personne de Bergman, son film « cris et chatiments », qui met en scène la souffrance de façon très fortement marquée, aurait pu tomber dans le scabreux et le glauque, et pourtant non (de mon point de vue), il sort de tous ça, justement par sa stylistique, par la façon de questionner le spectateur qui n’est pas simplement passif devant des images violentes.

  2. #2. admin le 23 février 2011 à 14 h 35 min

    Merci JC pour cette introduction à la discussion.

    Alors je n’ai (pour le moment) encore jamais joué à BAYONETTA. Mais j’ai vu quelques vidéos, et pense saisir un peu l’atmosphère du jeu, avec une esthétique qui semble emprunter aux codes SM, non ?

    Je note, d’une part que c’est à la fin du combat que l’on a accès à ces scènes d’humiliations, et d’autre part que c’est une cinématique interactive. Lorsque tu évoques le côté grotesque, caricatural et kitch, cela me laisse penser donc que cela ne cherche pas à frayer véritablement avec la voie du sadisme. Cela use des codes (donc un peu SM) tout en les détournant. Enfin, ce que je trouve également intéressant, c’est que tu fasses appel aussi au directeur artistique dans la manière de recevoir les images.
    Serait-ce donc finalement une sorte de parodie d’humiliation ou de torture ?
    Et ce serait cette dimension parodique qui rend cette « torture » ou ces humiliations (de Boss final qui plus est) tout à fait supportable ou en tout cas, tout à fait ludique ?

    Cela me fait penser à un passage d’HEAVY RAIN.
    Le fameux passage où le père, Ethan Mars, qui doit se soumettre à des épreuves pour retrouver son fils enlevé, doit se couper un doigt. Et le passage où il doit aller tuer quelqu’un.
    (J’avoue que je n’ai effectué l’histoire qu’une seule fois pour le moment). Ce sont deux passages qui m’ont, personnellement, un peu gêné. Non pas parce que cela me heurterait moralement (encore que peut-être… Mais c’est évidemment voulu par David Cage) Mais, c’était surtout du à une sorte d’overdose de ce genre de « faux choix ». Et après avoir vu les trois premiers SAW pour écrire avec Diane Scott, j’en avais un peu soupé… Cela m’est apparu du copier/coller un peu facile.
    J’avoue que rien que cette phrase « Jusqu’où êtes vous prêt à aller pour sauver quelqu’un que vous aimez ? », m’apparaît immédiatement pénible…
    Cela ne m’a tout de même pas empêché d’apprécier le jeu dans son ensemble. Mais si je ne l’ai pas trouvé non plus particulièrement exaltant, les objectifs que s’était fixé David Cage (En gros, essayer de construire, pour le joueur, un rapport aux émotions plus complexes. Je l’avais vu à une conférence à laquelle il avait participé au CNAM lors de l’exposition MUSEOGAMES) me semblaient plus ou moins atteints, et je trouve finalement ce jeu tout de même assez original, au regard de la masse de la production.
    Mais pour revenir à ces deux passages, je trouve qu’ils forment peut-être une illustration, pour moi, d’une limite inhérente au gameplay lui-même ?
    De plus, que ce soit dans l’exemple de Bayonetta, ou dans celui d’Heavy Rain, finalement, l’interaction, le choix de la stratégie laissée au joueur est assez faible. Dans Heavy Rain, on peut choisir de se couper le petit doigt ou pas, ou de tuer ou pas, et dans Bayonetta, si je comprends bien, cela se limite à une cinématique interactive, donc encore moins de choix ou de participation.
    Enfin, je pensais aux jeux Hentaï que je ne connais pas, mais dont je connais pour certains le principe. Donc difficile d’en parler véritablement. Mais de prime abord, là non plus, je me demande si l’on ne quitte pas, forcément, tout intérêt ludique ?

    Bon, arrivé à ce terme de mes remarques et tout en écrivant cela, je me demande si ma question ne pourrait pas se formuler ainsi : existe-t-il une limite au gameplay qui serait pensable uniquement en terme de jouabilité, de rapport ludique, (dont la torture mais peut-être aussi celui d’un certain rapport à la sexualité nous en apporterait l’exemple) ou serait-ce « plus simplement » notre rapport moral qui fixerait la limite de ce à quoi l’on pourrait jouer, ou de ce avec quoi l’on pourrait jouer ?
    Tiens, cela me rappelle un cas clinique que Maurice Berger avait raconté dans un colloque dernièrement. Il lui arrive de prendre en charge des jeunes patients particulièrement violents. Et celui dont il racontait l’histoire, avait littéralement massacré un nid d’oisillons. Cet évènement avait provoqué beaucoup de remous dans l’équipe soignante. Et lors de la psychothérapie que Berger menait avec ce jeune garçon, où étaient présents deux autres personnes, il raconta que le jeune en était venu à évoquer ce massacre d’oisillons et qu’il (Berger) en était venu à jouer cette scène lui-même (avec des oisillons en papier) pour le coup assez atroce. Et que cela n’avait pas été simple, pour les personnes qui étaient présentes, ni pour lui, mais après-coup, car sur le moment, pour lui, cela lui avait semblé évidemment pertinent.
    Bien entendu, je ne fais pas ce parallèle, pour indiquer que c’est la même chose. Deux objets, deux contextes totalement différents. Et c’est parce que le massacre d’oisillons avait eu lieu dans le réel auparavant, que le fait de le jouer était si compliqué.
    Bon, je m’arrête là, même si je sens que je n’ai peut-être toujours pas réussi à me poser la bonne question, celle qui semble me tirailler…

  3. #3. jcdardart le 23 février 2011 à 22 h 37 min

    Pour Bayonneta en fait il faut situer plusieurs choses :
    1/ L’iconoclasme et un certain goût pour le fantasque, donc tout à fait parodie de l’imagerie SM
    2/ C’est un jeu orienté très clairement Gamers et qui s’adresse à un publique qui connait ces codes et qui ont une certaines capacités de lire les images.
    3/ C’est un beat them all, fait par le papa du premier devil may cry, donc les scénes de QTE et d’acharnement sur un boutons pour gagner des points se fait à la fin du combat. Comme une sorte d’ultime décharges final. Sur le plan de la pulsion c’est le modèle de l’éjaculation qui me semble le plus proche.
    4/ Un autre aspect qui vient secondarisé le tout, c’est l’exigence du jeu, qui demande une certaine maîtrisé du combat et surtout réglé aux petits oignons. : rien n’a été laissé au hasard dans le déroulement du jeu.

    Pour ma part je trouve votre exemple de Berger bien choisi car elle me conforte dans l’idée que le gameplay est aussi un processus identitaire comparable en quelque sorte à l’identité narrative de Paul Ricoeur, c’est à dire que ce qui produit identité c’est la stylistique et l’énonciation même d’un discours. Ainsi la façon dont on peut supporter un récit et une énonciation dépend aussi de nos composantes identitaires.

  4. #4. admin le 24 février 2011 à 18 h 58 min

    « l’idée que le gameplay est aussi un processus identitaire comparable en quelque sorte à l’identité narrative de Paul Ricoeur c’est à dire que ce qui produit identité c’est la stylistique et l’énonciation même d’un discours. Ainsi la façon dont on peut supporter un récit et une énonciation dépend aussi de nos composantes identitaires. »

    C’est très intéressant en effet !

    J’ai une remarque, pour essayer de mieux saisir ce que tu veux dire.
    Si je crois comprendre d’après le peu que je connais de Ricoeur. Veux-tu faire une analogie avec le processus qui consiste, selon lui, grossièrement, à se construire une sorte d’identité via le discours, la narration, que je tiendrais sur l’objet que l’on appelle soi ?
    Si c’est le cas, je ne saisis pas bien le lien avec le gameplay ? Si ce que l’on appelle gameplay se situe du côté du jeu, de l’objet externe jeu vidéo?
    A moins que tu ne conçois le concept de gameplay comme désignant quelque chose situé dans l’interaction entre l’homme et la machine ?
    Alors par contre si derrière le gameplay on place le style du joueur, on peut largement concevoir que ce dernier soit singulier. J’ai pu travailler avec un adolescent pour qui l’esthétique qui pouvait se dégager de ses attaques/défenses, le style (et justement il était fan de la série Devil May Cry qui offre sur ce plan effectivement matière à développer un style personnel) était particulièrement important. Et je suis tout à fait d’accord que dans cette optique on puisse faire des analogies entre une façon de jouer, et une façon de s’exprimer. C’est d’ailleurs ce qui a pu se passer parfois dans nos échanges autour du jeu vidéo. Alors ta remarque m’intéresse d’autant plus.
    Mais là encore, je ne crois pas saisir le lien entre cela et la façon dont on pourra supporter un récit ?
    Peux-tu essayer de développer ?

  5. #5. jcdardart le 24 février 2011 à 19 h 53 min

    En fait ma théorie sur le gameplay est encore en plein murrissemrnt, et je dois encore préciser des choses dans mes idées.

    En fait, toit ce tu dis rentre dans ce complexe identitaire qui se joue dans les jeux vidéos. le gameplay est presque une parallèle d’expression offerte au joueur. En cela on se rapproche du langage et on n’est pas loin du récit.

    Mais ce récit a une particularité c’est qu’il se construit à deux au moins:
    1/ le créateur qui va se mettre à la place du joueur pour concevoir des niveaux, régler un jeu et sa difficulté, penser les possibilités et contraintes. Pour cela il est obligé de se mettre à la place du jouer. Et projette donc son désir sur le joueur. Donc il élabore ce récit on supposant ce que le joueur va pouvoir, aimé, supporté ou détester.

    2/ Le joueur de son coté y répond par son style de jeu, le fait qu’il va s’y accrocher ou pas ? Va-til « scorer » et donc déconstruire des mécaniques penser par le créateur (game designer et level designer).

    Donc c’est un processus identitaire dont le mécanique passe par l’identité narrative qui est d’autant plus renforcée par le coté actif du joueur. L’idée c’est que la façon dont on peut s’identifier à un récit (dépend de l’individu) et celle dont les créateurs suppos0nte que cette identification va opérer, influe la façon dont on peut réceptionner un récit. Car il faut qu’une rencontre entre les deux s’opère pour que les mécanique de jeu et narratif puissent fonctionner.

    Si pour le jouer ça le renvoie à des aspect identitaire trop gênante il ne jouera pas. Mais si le créateur n’a pas su se mettre à la place des joueurs, il va manquer sa cible et ce qu’il a voulu exprimer et faire exprimer.

  6. #6. admin le 27 février 2011 à 16 h 30 min

    Merci JC pour ces éclaircissements !
    Je pense mieux ce que tu veux dire. Et je pense donc que tu situes le gameplay dans ce qui se joue entre le joueur, avec sa manière de joueur, de chercher les stratégies, de reconstruire finalement ce que le game designer a caché, et le jeu vidéo en lui-même, avec son univers, ses niveaux et tutti quanti. Ce qui permet de faire ce rapprochement entre style de jeu et parole, dans un dialogue (cher à Paul Ricoeur) entre le joueur et l’objet conçu par les autres joueurs que sont finalement les game ou level designer.
    Bonne continuation dans tes recherches à ce sujet !

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