Notes sur le Séminaire LA RELATION D’OBJET – Le signifiant et le Saint-Esprit (05/12/1956)

Paris, le 14/06/2011

Lacan commence cette séance en rappelant que Dolto a fait un exposé la veille sur l’image du corps, et qu’à ce propos, « l’image du corps n’est pas un objet. »[1] Cette image ne peut devenir un objet selon lui, et cela lui donne ainsi un statut différent des autres formations imaginaires. En fait Lacan avance que l’usage de cette image du corps par Dolto est un usage signifiant, dans le sens où « […] aucune ne se soutient par soi-même. C’est toujours par rapport à une autre de ces images que chacune prend sa valeur cristallisante, orientante, qu’elle pénètre dans le sujet dont il s’agit, c’est à savoir le jeune enfant. »[2]

C’est intéressant de voir là les prémices de la fameuse définition que Lacan donnera plus tard (a priori au cours de son séminaire Les problèmes cruciaux pour la psychanalyse) du signifiant articulée à celle du sujet : « Le signifiant, à la différence du signe, qui représente quelque chose pour quelqu’un, le signifiant est ce qui représente un sujet pour un autre signi­fiant. »

Lacan discutera finalement avec Dolto tout au long de cette séance, en finissant par poser la question des relations entre l’image du corps propre de l’enfant et la phallus, en tant que « pour la mère, l’enfant est loin d’être seulement l’enfant puisqu’il est aussi le phallus […] »[3]. Et ajoutant que cette relation discordante, est tout à fait essentielle dans l’expérience analytique. Cette séance a d’une certaine manière pour but d’introduire à cette discordance.

Lacan précise en ce début de séance qu’il veut démarrer sur un questionnement sur la nature possiblement imaginaire des deux types d’objets que sont l’objet phobique et l’objet fétiche. Il pose ainsi une question importante : « Ces objets surgissent-ils tout simplement de la succession typique de ce que l’on appelle les stades ? »[4]

Il essaie alors de lever des malentendus au sujet de ce qu’il a dit de la notion de réalité à la séance précédente (mais il n’avancera pas grand-chose de plus finalement), en prenant l’image de cette usine hydraulique, et il précise qu’il veut continuer sur ce thème de l’opposition ou de la différenciation réalité/réel, en développant ce que l’on considère par réalité lorsqu’on met l’accent « sur ce qui est avant »[5], et plus précisément, « […] avant qu’un fonctionnement symbolique ne se soit exercé […] »[6]. Il opère un rapprochement entre cette usine hydraulique comme nécessité à calculer l’énergie, et le psychisme, via l’utilisation chez Freud de cette catégorie, issue du vocabulaire de la thermodynamique, pour forger son concept de libido. Le concept d’énergie est en effet un concept particulièrement important chez Freud. Le chapitre « De la dynamique à l’économique, le modèle fechnero-helmholtzien » du livre de Paul-Laurent Assoun Introduction à l’épistémologie freudienne[7] offrira de quoi prolonger la réflexion sur ce sujet.

Il n’avancera donc pas grand-chose de plus sur cette différenciation réalité/réel. Mais l’important, c’est de retenir que, pour Lacan, la libido freudienne est un concept dont la grammaire se déploie sur le plan de l’imaginaire. Et que l’intérêt de la métaphore est ce rapprochement entre le Es freudien, le Ca (ou encore le sujet de l’inconscient) et l’usine. « Le Es est ce qui, dans le sujet, est susceptible, par l’intermédiaire du message de l’Autre, de devenir Je. […] Si l’analyse nous a apporté quelque chose, c’est ceci – le Es n’est pas une réalité brute, ni simplement ce qui est avant, le Es est déjà organisé, articulé, comme est organisé, articulé, le signifiant. »[8]

Lacan reprend également la dialectique des deux principes freudiens du plaisir et de réalité, et cherche à l’articuler à ce qu’il appelle « […] les deux niveaux de la parole qui s’expriment dans les notions de signifiant et de signifié. »[9] Mais au travers de tout un développement sur ce qu’est cette usine hydraulique, il cherche à rappeler à ses auditeurs que ce Es, dont il est vrai que l’image (celle du Ca) a souvent été celle d’une sorte de magma à base d’instincts d’où émergeraient les pulsions, est à rapprocher du fonctionnement du langage, que ce Es n’est finalement « pas quelque chose de si naturel que ça, et moins encore que les images. »[10]

Puis Lacan revient sur le coeur de son travail cette année, l’oubli de la place du manque de l’objet dans la théorie analytique de son temps, à partir de cette fameuse proposition que nous avons relevée au tout début de la première séance, exprimée ici sous cette forme « Au niveau de l’expérience analytique, toute Findung de l’objet, nous dit Freud, est une Wiederfindung. »[11]

Il y revient à partir de l’écriture des Trois essais sur la théorie de la sexualité de Freud, ouvrage que le Viennois n’aura eu de cesse de remanier, et ce particulièrement après avoir élaboré sa théorie du narcissisme. Et Lacan d’ajouter que Freud a pu construire sa théorie de la libido en l’articulant à ce concept de narcissisme, et donc à « la fascination du sujet par l’image, laquelle n’est jamais, en fin de compte, qu’une image qu’il porte en lui-même. Voilà le dernier mot de la théorie narcissique. »[12]

La valeur organisatrice du fantasme découle de cette discordance entre le sujet et son objet premier, qui vient carrément perturber la recherche du sujet, sa relation avec la réalité extérieure. Et cette valeur du fantasme est à articuler elle-même avec le développement en deux temps de la sexualité infantile. « Il y a donc toujours discordance de l’objet retrouvé par rapport à l’objet recherché. Voilà la notion à partir de laquelle s’introduit la première dialectique freudienne de la théorie de la sexualité. »[13]

Lacan entend surtout replacer au centre des débats sur la reconstitution des différents stades, qui servaient à l’époque à expliquer par exemple les phobies chez les enfants d’un point de vue psychogénétique, le fait et la valeur de l’Œdipe. « La relation prégénitale ne s’appréhende qu’à partir de l’articulation signifiante de l’Œdipe. Les images et les fantasmes qui forment le matériel signifiant de la relation prégénitale viennent eux-mêmes d’une expérience qui s’est faite au contact du signifiant et du signifié.»[14]

Puis après avoir rappelé les trois catégories du manque de l’objet, frustration, castration et privation, il se propose d’essayer de relire certaines conceptions de l’apparition de phobies infantiles, en prenant comme exemple un article d’Anneliese Schnurmann, élève d’Anna Freud, « L’observation d’une phobie » (in Psychoanalytic Study of the Child, vol. 3-4, 1949, p. 253-270.). Il précise que cette conception annafreudienne de la phobie est centrée sur la frustration conçue comme «  privation d’un objet privilégié, celui du stade où le sujet se trouve au moment de l’apparition de ladite privation. »[15] Ce sera le cas Sandy, celui d’une petite fille de deux ans cinq mois, qui fut confiée pendant la guerre, à la Hampstead Nursery.

Lacan veut ainsi démontrer que l’usage qui est fait de la privation (notamment chez Jones) n’est pas suffisamment rigoureux, car pour « que le sujet appréhende la privation, il faut d’abord qu’il symbolise le réel. Comment le sujet est-il amené à le symboliser ? Comment la frustration introduit-elle l’ordre symbolique ? C’est la question que nous poserons, et nous verrons que le sujet n’est ni isolé, ni indépendant, et que ce n’est pas lui qui introduit l’ordre symbolique. »[16]

Et c’est encore une fois en rappelant la place du phallus chez la mère de l’enfant que Lacan finit cette séance. Donc, c’est également en rappelant l’exigence de s’avancer dans la compréhension de la sexualité féminine.

Comme je le disais en introduction, Lacan discute avec Dolto dans cette séance. On pourrait dire d’une certaine manière que pour Dolto, c’est le concept d’image du corps propre qu’elle pense avoir apporter à la théorie analytique, c’est celui de phallus que Lacan apportera.

En posant que l’enfant pour la mère, est aussi le phallus, avant d’être un enfant, et que cette « perturbation » se situe sur le plan de l’imaginaire, Lacan veut nous introduire au processus qui va mener l’enfant à la symbolisation de ce qu’il représente dans la relation qui le lie à sa mère. Et c’est par le biais de l’examen de la phobie chez l’enfant que Lacan veut aborder cela.

« Lors d’un moment particulièrement critique, alors qu’aucune voie d’une autre nature n’est ouverte pour la solution du problème, la phobie constitue un appel à la rescousse, l’appel à un élément symbolique singulier. […] Au moment où il est appelé au secours pour maintenir la solidarité essentielle menacée par la béance qu’introduit l’apparition du phallus entre la mère et l’enfant, l’élément qui intervient dans la phobie a un caractère véritablement mythique. »[17]


[1] Jacques Lacan, La relation d’objet, Seuil, 1994, p.41.

[2] Jacques Lacan, La relation d’objet, Seuil, 1994, p.43.

[3] Jacques Lacan, La relation d’objet, Seuil, 1994, p.57.

[4] Jacques Lacan, La relation d’objet, Seuil, 1994, p.42.

[5] Jacques Lacan, La relation d’objet, Seuil, 1994, p.44.

[6] Jacques Lacan, La relation d’objet, Seuil, 1994, p.44.

[7] Paul-Laurent Assoun, Introduction à l’épistémologie freudienne, Payot, 1981,n p.145.

[8] Jacques Lacan, La relation d’objet, Seuil, 1994, p.46.

[9] Jacques Lacan, La relation d’objet, Seuil, 1994, p.47.

[10] Jacques Lacan, La relation d’objet, Seuil, 1994, p.50.

[11] Jacques Lacan, La relation d’objet, Seuil, 1994, p.51.

[12] Jacques Lacan, La relation d’objet, Seuil, 1994, p.52.

[13] Jacques Lacan, La relation d’objet, Seuil, 1994, p.53.

[14] Jacques Lacan, La relation d’objet, Seuil, 1994, p.53.

[15] Jacques Lacan, La relation d’objet, Seuil, 1994, p.55.

[16] Jacques Lacan, La relation d’objet, Seuil, 1994, p.56.

[17] Jacques Lacan, La relation d’objet, Seuil, 1994, p.58.

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