« Karl Marx est de retour ! » – Episode 1
Marx est de retour !
Ou mieux, il reste toujours d’actualité. Autant pour ses analyses, les ouvrages inspirées par son œuvre ou sa vie, ou encore des pièces de théâtres.
A quand un jeu vidéo ?
« Spectres de Marx » écrivait Derrida en 1993, en critiquant la fameuse thèse de la fin de l’histoire de Fukuyama. « Le spectre rôde toujours », sous-titré « Actualité du Manifeste du Parti communiste » écrit par Slavoj Zizek, sorti en France en 2002, « Le fantôme de Marx », bande-dessinée sortie fin 2010, racontée par Ronan de Calan et illustrée par Donatien Mary, de la très belle collection Les petits Platon www.lespetitsplatons.com, (je ne saurais trop vous conseiller d’aller y jeter un œil).
« Un spectre hante l’Europe – le spectre du communisme » écrivait Marx dans son Manifeste pour le parti communiste, son texte politique le plus connu, inspiré par les révolutions de 1848. Marx ne cesse ainsi de hanter notre imaginaire, et ce n’est pas pour me déplaire !
Je ne débuterai pas ici, ni maintenant, une quelconque analyse de l’œuvre de Marx, quand bien même en rapport avec Lacan. Mais je voulais juste vous signaler deux autres objets « marxiens » que j’ai trouvés intéressants autour de cette perpétuelle « actualité de Marx ».
Le premier est un manga, intitulé sobrement Karl Marx, Le Capital, écrit et dessiné à partir du « Capital » de Marx, édité au Japon par East Press Co. Ltd, adapté en français par Studio Soleil et Demopolis, et édité par Soleil Manga.
Olivier Besancenot, porte-parole du Nouveau Parti Anti-capitaliste, a préfacé ce manga.
Celui-ci est composé de deux volumes. Dans le premier, composé de quatre parties, « La marchandise », « L’exploitation », « La force de travail » et enfin « La valeur », l’histoire d’un jeune entrepreneur dans la fabrication de fromage nous est racontée. L’histoire met ainsi en scène ce jeune vendeur de fromage, prénommé Robin, fils d’un grand artisan en fromage, souhaitant devenir riche. Pour ce faire, il fera appel à un investisseur financier, Daniel le capitaliste, qui va l’entraîner toujours plus loin dans sa propre stratégie d’accumulation de richesses, et nous permettre ainsi du même coup de saisir les rouages de l’économie capitaliste selon certains concepts issus de l’œuvre de Karl Marx.
Ce que j’ai trouvé amusant dans ce premier volume (je n’ai pas encore lu le second), c’est l’adjonction des relations affectives pour dramatiser, le fait d’essayer de donner corps à la structure économique théorisée par Marx. C’est-à-dire, pour le dire rapidement, de la nécessité d’oedipianiser ce que Marx avait conceptualisé. Chaque personnage semble ainsi incarner une sorte d’archétype, pour nous permettre de saisir la dynamique structurelle d’ensemble de l’économie capitaliste.
1) Ainsi, dans « La marchandise », les relations entre les personnages principaux nous sont présentées, avec comme principales :
- Robin et Ennie. Ennie est la fille d’un grand banquier, et Robin en est amoureux. C’est en fin de compte le ressort de la dynamique de l’ensemble, car on peut finalement lire dans ce premier volume que Robin ne veut devenir riche que pour mieux séduire cette Ennie. Lui qui est pauvre, l’aime-t-il du fait qu’elle appartienne à la classe supérieure ? Cela n’est pas dit. Mais il oubliera cependant cet amour au fur et à mesure de l’histoire.
- Robin et son père. Ce dernier représente une certaine autorité à dépasser pour Robin. Le père est ici le garant d’une société traditionnelle où le troc avait encore lieu, où l’on reconnaissait le travail des autres, et où l’on pouvait se faire confiance. Bref, la société où la réification des rapports sociaux et la fétichisation de la marchandise n’auraient pas encore eu lieu. Mais Robin reproche à son père la mort de sa mère par manque d’argent pour la soigner. L’ancien système est donc pour Robin, synonyme de cette mort. Cette mère lègue à son mari une phrase, que ce dernier voudrait transmettre à son fils : « La classe moyenne est ce qui convient le mieux aux hommes. »
Robin passe donc un contrat faustien avec Daniel pour avoir de l’argent et se lancer dans une production industrielle de fromage.
2) Dans la partie « L’exploitation », Robin est devenu patron et commence à exercer de plus en plus de pression. Sa question, pourrait-on dire, est celle à laquelle Frédéric Lordon, un économiste que je vous conseille de lire, essaie de répondre dans « Capitalisme, désir et servitude » : « Comment faire agir les salariés ? Comment les rallier à sa cause ? ». Lordon développe des choses extrêmement intéressantes, en usant de la réflexion de Spinoza sur les affects, et de son concept de conatus, au sein des structures décrites par Marx. Robin sera moins subtil…. Et, sous la pression du remboursement, finira par faire tabasser gentiment ses employés pour augmenter les cadences. Malgré ses tentatives de réorganiser « scientifiquement » les postes de travail des salariés, Robin se trouve rapidement devant un dilemme pour avoir un meilleur taux de production : ou bien augmenter la main d’œuvre, ou bien réduire les coûts des matières premières…
Daniel lui conseille alors l’exploitation maximum de ses salariés comme seul paramètre sur lequel il peut faire des économies. Mais, plus Robin rentre dans cette dynamique capitaliste, plus le produit final perd de sa valeur éminemment symbolique pour nous. Le fromage perd de son goût…
3) Dans « La force de travail », l’exploitation des salariés s’intensifie, puisque elle est devenue la seule variable d’ajustement. Ce qui finit par créer de la révolte, incarnée par un ouvrier, Karl le bien-nommé, qui veut remettre en cause le discours du Maître. Ce dernier souhaite juste que ça tourne en rond ! « Faut que ça tourne ! », le symptôme étant quand ça ne tourne plus rond… Il finit par penser une phrase qui reviendra à la fin : « Nous ne sommes pas vos esclaves », « Nous ne sommes les esclaves de personne ! ». Tandis que Robin essaie toujours de se persuader (comme le font encore régulièrement nos chers patrons actuels dans les médias, parfois jusqu’à l’écoeurement) qu’il ne fait qu’acheter la force de travail de ses ouvriers, qu’il leur permet donc de vivre, et que finalement, c’est lui qui prend tous les risques. Cela me rappelle ce très beau film de Nicolas Klotz, « La question humaine ».
4) Enfin, dans « La Valeur », Robin tentera de revenir chez son père. Mais ce dernier a déjà tout hypothéqué pour couvrir son fils en cas de faillite, afin de rembourser le perfide Daniel. Une scène amusante est celle où Daniel amène Robin devant un immense tas d’or, et demande à Robin pourquoi ce dernier veut s’enrichir. Robin n’arrivera plus à répondre. Ainsi, face au désespoir de son père, Robin continue d’accentuer la pression sur ses salariés, mais se rend compte de sa souffrance à se sentir pris dans cette dynamique qui le dépasse (Quel sens a ma vie, se demande-t-il), et la colère gronde de plus en plus sous les traits de Karl. « Nous ne sommes les esclaves de personne ! »…
Ecrit dans le but explicite de tenter « d’indigner » son lecteur, j’ai personnellement trouvé le manga plutôt amusant, ce qui me semble être une réussite !
Je continuerai plus tard avec le second objet « marxien » : un documentaire intitulé : « Marx Reloaded »…
mot(s)-clé(s) : capitalisme, communisme, Marx
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