Autour de l’annonce du handicap – interview pour le magazine declic

Pour le numéro de septembre-octobre 2011 du magazine Déclic, la journaliste Anne-Claire Préfol m’avait contacté pour une interview.

J’avais écrit mes réponses à ses questions que voici :

- Pourquoi l’annonce du handicap est-elle un moment particulièrement important ?

Lors d’une grossesse, l’enfant à venir est d’abord « matière de pensées » pour les futurs parents. C’est ce que l’on a coutume de désigner par « l’enfant imaginaire ».

A la naissance, on parle souvent du « deuil de l’enfant imaginaire ». Car en effet, il existe cet enfant espéré, attendu, censé perpétuer les parents après leur mort et réparer leurs blessures narcissiques anciennes, c’est l’enfant merveilleux et imaginaire. A la naissance, il y a un enfant réel qui arrive avec toute sa singularité. Les parents sont alors censés passer par une sorte d’étape de réconciliation avec ce bébé réel. Avec cet enfant imaginaire, chaque parent peut ainsi essayer de régler une dette symbolique qu’il a contractée envers les générations précédentes.

Le handicap peut constituer un obstacle au solde de cette dette, ainsi qu’au deuil de cet enfant imaginaire.

Renoncer à l’enfant imaginaire, dans le cas d’un enfant porteur d’un handicap, peut revenir à renoncer à l’image de parents pouvant mettre au monde un bel enfant sans aucune anomalie et ainsi déstabiliser fortement les assises narcissiques des parents.

Car le handicap réouvre de manière aiguë la question de l’origine pour les parents. Qu’ont-ils fait, ou que n’ont-ils pas fait pour mettre au monde cet enfant ?

Cet enfant peut alors leur renvoyer éventuellement leurs propres défauts cachés, refléter leurs propres faiblesses et les exposer également au grand jour, à tout le monde. Ainsi l’obstacle majeur qui peut se poser pour les parents, c’est leur reconnaissance dans leur propre enfant. Comment s’identifier et se reconnaître en lui ? L’œuvre de l’écrivain Kenzaburo Oé est sur ce point particulièrement riche d’enseignement.

La difficulté avec le handicap de l’enfant, c’est qu’il peut donc constituer un obstacle vis à vis de l’illusion parentale qui consiste à se retrouver dans leur enfant. C’est ce que Simone Korff-Sausse nomme le miroir brisé. Ce handicap peut en effet empêcher cette projection parentale tout à fait classique, et par conséquent infliger une blessure narcissique aux parents, dont les réactions vont alors être diverses pour y faire face.

C’est pourquoi l’annonce du handicap va donc être une étape importante. Ce moment est la rencontre d’un sujet avec un évènement de parole lorsqu’il s’agit d’une annonce. Mais il peut correspondre aussi à la confirmation de ce que les parents avaient déjà remarqué après la naissance.

Cette annonce va en tout cas produire des effets sur toutes les relations intra-familiales, et sur l’équilibre psychique de chacun des membres de la famille, des éventuels autres enfants jusqu’aux grand-parents.

Je dirai qu’elle constitue un moment tragique dans le sens où, comme on vient de le voir, c’est une rencontre potentiellement fortement traumatique pour les parents, où la parole joue un rôle tout à fait fondamentale.

Les mots employés peuvent peser longtemps sur le destin de la relation entre les parents et l’enfant, car ils vont en général marquer durablement les parents. Avec la prise en compte de ce moment chez le personnel médical, les mots et les images employées ont d’ailleurs évolué au fil du temps.

Mais il me semble qu’il faut le dire d’emblée, il y a une part de douleur incompressible dans cet évènement, et ce, quel que soit les précautions que les professionnels prendront.

- Quelles peuvent-être les répercussions psychologiques de cette annonce tout au long de la vie des parents ?

Cette rencontre entre ces nouveaux parents et ce nouveau-né peut donc être un traumatisme particulièrement important. En effet les représentations éveillées par cette rencontre sont parfois telles qu’elles débordent la capacité de penser des parents. C’est l’effroi, la stupeur et la sidération chez les parents.

Cet événement traumatique suscite donc des représentations intolérables chez les parents, mais il vient également réactualiser le passé de ces derniers, ainsi que certains sentiments qui vont faire écho à leurs propres histoires.

Des fantasmes de meurtre de l’enfant sont inévitables, même s’ils sont rarement évoqués tant ils sont insupportables pour les parents et tant l’idée même du meurtre de cet enfant suscite la honte.
Cette envie de meurtre est d’ailleurs bien plus ouvertement exprimée chez les parents non concernés. Mais la reconnaître peut être une partie importante d’un processus d’acceptation du handicap pour ces parents et pour l’enfant, afin que la violence ne fasse pas retour sous un autre forme, plus masquée et plus pernicieuse (Les attitudes de surprotection qui viennent par exemple contrecarrer les projets pour les enfants par exemple).

Le traumatisme généré par l’irruption de cet évènement va donc pousser ces parents à construire un sens à cet évènement. Pourquoi est-ce arrivé ? A nous ? Qu’avons-nous fait ? Quelle faute est à l’origine de ce malheur ?

Aussi, dans ce contexte traumatique, les mots qui auront été utilisés pour annoncer constituent en eux-mêmes l’évènement. C’est avec ces mots que les premières représentations chez les parents vont être éveillées.

– Comment faire en sorte que l’annonce soit la moins violente possible ? Y a-t-il de « bonnes » façons d’annoncer une telle nouvelle ?

Comme je le disais, il n’y a pas de « recette » qui puisse ôter la souffrance des parents.

Bien évidemment, cela ne veut pas dire que l’on ne puisse pas éviter certaines pratiques, comme de le faire comme si l’on voulait se débarrasser au plus vite de la mauvaise nouvelle, ou bien encore de faire l’annonce au téléphone…

Mais je pense que c’est avant tout le sentiment de ne pas être seul face à cet évènement pour les parents, qui peut aider. Le sentiment que l’on peut partager cela avec la personne qui vous l’annonce est tout à fait important.

Ainsi, la personne en charge d’annoncer le diagnostic doit être en mesure de pouvoir proposer plus qu’un simple entretien informatif. C’est un véritable accompagnement qui doit pouvoir être proposé et mis en place dès ce moment. Il faut que cette personne puisse accueillir l’effet de choc chez les parents, tout en acceptant elle-même ses propres limites.

Il me paraît également préférable que les deux parents soient informés en même temps. Cela évite de placer celui qui reçoit cette nouvelle dans le devoir de l’annoncer à l’autre. Cela permet également de partager la nouvelle plus facilement. La mère et le père ne vont évidemment pas recevoir la nouvelle de la même façon, mais ils peuvent peut-être plus facilement trouver du soutien chacun chez l’autre.

Enfin certains services proposent un premier entretien où un médecin et un psychologue sont présents. Le premier pour tenir le rôle de l’expert qui va informer, le second pour accompagner les parents sur le plan affectif, sachant que la colère inévitable des parents peut se retourner sur les médecins.

- Pour que l’annonce se passe au mieux, est-ce selon vous surtout une question de mots ou d’oreille ?

Encore une fois, il est difficile de répondre de manière générale, et de se focaliser uniquement sur l’annonce. L’annonce est un moment certes important, où ce qui va être dit peut être marquant, mais l’important me paraît être principalement l’accompagnement qui va être proposé pour ces parents.

Car le facteur temps est tout à fait primordial dans cette affaire. Tout ne peut être dit en une seule fois, et tout ne peut être entendu également lors d’un seul entretien.

Face à la sidération de l’annonce, il faut un certain temps aux parents pour reprendre un peu pied, et accepter d’entendre quelque chose. Puis peuvent venir une certaine dénégation, la colère, mais aussi la nécessité de trouver un sens, un responsable, voire un coupable.

Il faut donc se donner du temps pour être présent pour ces parents, ainsi que pour l’éventuelle fratrie, afin de les accompagner et les aider à élaborer ce traumatisme.


- Comment expliquer que certains professionnels chargés de cette annonce semblent opter pour une franchise parfois brutale ?

Face à l’angoisse que suscite le handicap chez tout un chacun, le personnel médical et soignant n’est pas épargné. Il y a donc beaucoup de mécanismes de défense qui peuvent être mobilisés. Un de ces mécanismes qui me paraît évident est de se réfugier dans son identité professionnelle afin d’éviter de s’identifier aux parents.
Aussi, le généticien pourra par exemple employer un vocabulaire technique, et s’adresser aux parents comme s’il suffisait de leur communiquer une information, qu’est-ce que ce handicap et ses symptômes…

Peut-être manque-t-il également de formation. Mais je pense que le personnel soignant est là confronté à ses propres angoisses, et surtout au fait que l’on ne peut « guérir » ce handicap. Ainsi cet enfant les place face à leurs propres limites de soignant, et peut mettre en échec leur désir de soigner ou de guérir.

La « brutalité » dont ils peuvent parfois faire preuve me semble donc à la mesure de l’angoisse et du désarroi dans lequel ils se trouvent bien souvent de faire face aux parents.

- N’y a-t-il pas un risque de tuer tout espoir d’évolution et à terme d’un bonheur possible pour la famille concernée ?

Il me semble impossible de prévoir la manière dont chaque parent va faire face au traumatisme.
La réaction de celui-ci est tout à fait singulière, dans le sens où c’est sa propre histoire, avec ses propres faiblesses mais aussi ses propres forces, qui vont être mobilisées, et remises en jeu.
Encore une fois, il ne faut pas se focaliser uniquement sur l’annonce. Même si dans le discours des parents, c’est ce moment qui peut sembler avoir scellé l’histoire de leur rencontre avec l’enfant. L’important me paraît être la possibilité de l’accompagnement qui va être proposé pour ces parents.


- Quelle attitude conseiller aux parents devant affronter l’annonce du handicap de leur enfant ?

Surtout ne pas rester seuls ! Le traumatisme peut être tel que les parents peuvent avoir tendance à s’enfermer, à s’isoler, voire à se couper du reste de leur famille. Je suis conscient que les relations entre les professionnels et les familles peuvent être houleuses, tissées de malentendus et d’incompréhension réciproque.

Mais il est plus qu’important que ces parents puissent partager leur expérience avec d’autres parents, rencontrer des professionnels qui peuvent les aider à traverser ce traumatisme et le cortège des affects douloureux qui lui sont associés, afin qu’ils reconstruisent du sens face à l’évènement.

C’est là que notre société se doit d’être présente, afin d’apporter du soutien, autant matériel que moral pour les familles. Et pour ce faire, il est également plus que nécessaire de continuer à faire « travailler la culture » et les représentations sociales du handicap.

mot(s)-clé(s) : , , , ,

You can leave a response, or trackback from your own site.

2 réponses à “Autour de l’annonce du handicap – interview pour le magazine declic”

  1. #1. nathalie lefebvre le 30 janvier 2013 à 17 h 49 min

    J’ai annoncer à mon nouveau compagnon que je ne pouvais maintenir un emploi à cause de ma paralysie cérébrale.
    Selon lui,je ne suis pas handicapé parce que ce n’est pas apparent,Aider moi si c’est possible à lui expliquer les choses
    de la bonne façon.
    Merci
    Nathalie

  2. #2. admin le 3 février 2013 à 13 h 49 min

    Bonjour Madame,
    Cela me paraît difficile de vous répondre de cette manière…
    Mais vous pouvez essayer de discuter avec lui autour de ses représentations du handicap, avec le livre de Henri-Jacques Sticker par exemple.
    Peut-être est-ce difficile pour lui de considérer sa compagne comme « handicapée » ?
    Vous pouvez toujours m’écrire directement sur mon adresse mail : vincent_le_corre@hotmail.com

    VLC.

Répondre