Handicap et psychanalyse – Seconde partie

Le handicap : du côté des parents

Dans un point de vue général, « dans la plupart des cultures, le handicap de l’enfant fait l’objet d’un vaste tabou »[1] : il choque, décourage, inspire l’ennui, suscite le malaise et surtout fait peur parce qu’ « il nous confronte aux limites de l’humain, car il suscite des images d’anormalités proches de la bestialité ou de la monstruosité. »[2] Que ces images nous soient renvoyées par un enfant peut nous gêner d’autant plus que cela brise quelque peu l’image d’une enfance que nous nous plaisons à idéaliser.

Comme nous l’avons dit dans notre première partie, suite à la mutation anthropologique du 19ème siècle, notre rapport à l’altérité a profondément changé, ainsi tenir l’autre à distance, en l’identifiant à sa différence, nous permet d’écarter le risque fantasmatique que cet autre peut susciter par notre trop proche ressemblance. Tenter d’accepter l’autre dans sa ressemblance peut constituer une menace, c’est bien pourquoi « l’anormal » a bien souvent été rejeté dans l’altérité la plus lointaine et que « la logique de l’exclusion commence par cela : désigner l’autre comme radicalement différent. »[3]

Un ouvrage philosophique écrit par Pierre Ancet, « Phénoménologie des corps monstrueux », qui suit une approche phénoménologique, mais qui mêle différents points de vue comme celui de la psychanalyse, analyse l’articulation du monstrueux et de l’humain et montre justement que c’est la part d’hominité, c’est à dire son appartenance à l’espèce humaine, qui nous rapproche de ce corps monstrueux, tout en lui refusant sa part d’humanité. Et, sans confondre effectivement la personne handicapée avec le monstre, les psychanalystes, comme Korff-Sausse, peuvent retrouver par contre des fantasmes de monstruosité dans cette clinique.

Les parents d’un enfant handicapé ne sont pas non plus exempts de ces mouvements projectifs. C’est pourquoi l’annonce d’un handicap, quel qu’il soit, même minime, est un moment extrêmement sensible et en cela important pour le devenir de l’enfant, et celui des parents. Guidetti et Tourette[4] notent à cet égard « que l’intensité des réactions à l’annonce du handicap est liée au statut social et culturel du handicap.» Les deux auteurs ajoutent que « dans notre société, les handicaps moteurs, surtout dans les cas où les fonctions intellectuelles sont préservées, bénéficient d’une représentation plus favorable que les handicaps mentaux. » D’où d’ailleurs la nécessité de travaux comme ceux de Stiker, et de leur diffusion au grand public, afin de faire travailler les fameuses représentations sociales chères à Serge Lebovici.

Toujours est-il qu’il ne faut pas oublier que l’annonce du diagnostic va produire des effets sur toutes les relations intra-familiales, et sur l’équilibre psychique de chacun des membres de la famille. Essayons de préciser les enjeux au niveau de ce que l’on peut appeler les processus de parentalité.

La blessure narcissique

Freud avançait dans « Pour introduire le narcissisme » que « si l’on considère l’attitude de parents tendres envers leurs enfants, l’on est obligé d’y reconnaître la reviviscence et la reproduction de leur propre narcissisme qu’ils ont depuis longtemps abandonné. »[5] Cette attitude des parents envers leur enfant est même une preuve pour Freud de l’existence antérieure de ce stade qu’est le narcissisme.

« Maladie, mort, renonciation de jouissance, restrictions à sa propre volonté ne vaudront pas pour l’enfant, les lois de la nature comme celles de la société s’arrêteront devant lui, il sera réellement à nouveau le centre et le cœur de la création. » Freud décrit là le sentiment parental devant l’enfant. Selon lui, ce sentiment a donc pour origine le narcissisme du parent lui-même, c’est-à-dire ce moment où le parent, enfant lui-même, se prenait encore pour idéal lui-même.

Rien n’est évidemment véritablement oublié, derrière l’amour que les parents portent en direction de leur enfant, Freud  y voit la résurgence de leur narcissisme, projeté cette fois sur l’enfant.

« L’amour parental, si touchant et au fond, si enfantin, n’est rien d’autre que le narcissisme des parents qui vient de renaître et qui, malgré sa métamorphose en amour d’objet, révèle à ne pas s’y tromper son ancienne nature. »[6]

Le premier problème peut-être avec l’enfant handicapé, c’est précisément qu’il va avoir du mal à donner l’illusion aux parents de retrouver cette immortalité propre au narcissisme qui dédommage de l’acceptation de sa propre finitude. L’enfant handicapé va constituer un obstacle à la projection des parents de leur Moi-Idéal sur leur enfant. C’est la blessure narcissique dont parle Korff-Sausse à propos de l’enfant handicapé.

Le second problème est à situer vis à vis de la dette de vie inconsciente qu’analyse Monique Bydlowski dans son ouvrage « La dette de vie ». Outre son concept de transparence psychique, elle avance l’idée qu’avec l’enfant, le parent peut régler sa dette envers les générations précédentes. Ainsi, le handicap peut venir, là encore, constituer un obstacle au solde de cette dette.

Le deuil imaginaire… impossible

Dans un article d’une monographie[7], Bernard Golse aborde le versant psychique de la grossesse au travers d’une réflexion sur la procédure d’agrément dans le contexte d’adoption.

Ce qui nous intéresse, ce sont ces fameux « quatre bébés dans la tête des parents ». En effet, l’enfant à venir est d’abord « matière à pensées » (ou « une matière de pensées ») pour les futurs parents. C’est ce que l’on a coutume de désigner par « enfant imaginaire » et qui recouvre finalement quatre dimensions distinctes.

L’enfant fantasmatique

« Il s’agit d’un groupe de représentations mentales principalement inconscientes et que chacun des deux parents s’est forgé tout au long de son histoire depuis sa plus tendre enfance. »[8] Sous ce terme d’enfant fantasmatique est donc désigné, entre autres, l’enfant qui peut être désiré du père par la petite fille (ou par le petit garçon ?). Ces représentations inconscientes seront réélaborées à différentes périodes de la vie, comme à l’adolescence typiquement.

L’enfant narcissique

C’est « le dépositaire de tous les espoirs et de toutes les attentes de ses parents », comme on l’a vu avec Freud et son Pour introduire le narcissisme. « Tout ce qu’ils n’ont pas pu faire, tout ce qu’ils n’ont pas réussi, tous les idéaux manqués, leur enfant sera chargé de l’accomplir. »[9] Même si cela peut être difficile à accepter sans rivalité par les parents rappelle l’auteur.

L’enfant mythique ou culturel

« Chaque groupe culturel a ses représentations spécifiques de l’enfant et celles-ci imprègnent (…) le fonctionnement psychique des adultes (…) »[10] C’est à notre sens ce qu’on peut observer dans l’idéalisation persistance de l’enfant dans nos sociétés : un enfant de plus en plus précieux, soumis à une injonction de perfection, et d’autonomie la plus rapide possible. Nous y associons également l’idéologie de l’enfant désiré, programmé, comme seul possibilité de « bon départ dans la vie ».

L’enfant imaginé

« Il s’agit au fond des rêveries conscientes et pré-conscientes du couple à propos de l’enfant qu’il projette d’avoir : son sexe, son prénom, son apparence, etc… »[11] Ce deuxième groupe de représentations est plus tardif dans l’histoire individuelle. Il apparaît par exemple quand un homme ou une femme commence à anticiper un enfant, à projeter d’avoir ou d’adopter un enfant. Et on peut dire que l’enfant imaginé est nourri en quelque sorte par les représentations des trois autres bébés.

Lors d’une naissance, on parle souvent de « deuil de l’enfant imaginaire ». En effet, il existe cet enfant espéré, attendu, censé les perpétuer après leur mort et réparer leurs blessures narcissiques anciennes, c’est l’enfant merveilleux et imaginaire comme on l’a vu. Et il y a un enfant réel qui arrive avec toute sa singularité, et éventuellement sa « différence ». Les parents sont censés passer par une étape de réconciliation avec le bébé réel en parallèle du travail du deuil de cet enfant imaginaire.

Mais cette étape de deuil devient alors problématique pour les parents dont l’enfant présente un handicap. En effet, le travail de deuil consiste généralement à « placer quelque chose à la place de l’objet perdu »[12] ce qui est dans le cas de l’enfant handicapé proprement impossible.

Comme le disent Brazelton et Cramer, le bébé représente une part du self inconscient du parent[13], l’enfant fait en quelque sorte partie du parent : ainsi, renoncer à l’enfant imaginaire, dans ces cas, revient à renoncer à l’image de parents pouvant mettre au monde un bel enfant sans aucune anomalie et déstabilise ainsi les assises narcissiques des parents. Cet enfant va alors leur renvoyer éventuellement leurs propres défauts cachés, refléter leurs propres faiblesses et les exposer également au grand jour, à tout le monde. Ainsi l’obstacle majeur qui va se poser à présent pour les parents c’est leur reconnaissance dans leur propre enfant. Comment s’identifier et se reconnaître en lui ?

L’œuvre de Kenzaburo Oé est sur ce point particulièrement riche d’enseignement. Son roman « Une affaire personnelle »[14] est le long et douloureux chemin d’un père vers l’acceptation de son fils handicapé et le dépassement de son désir premier de tuer cet enfant. La naissance de ce dernier ne cesse de le renvoyer à ses propres faiblesses, aux moments de son histoire qui lui font honte, qui le rendent finalement incapable de se reconnaître en son fils et donc de l’accepter. Il lui faudra d’abord revenir sur ses propres problèmes et angoisses, les élaborer et leur trouver une issue positive, avant de pouvoir faire une place à son fils.

la représentation de la transmission

Par ailleurs la représentation de la transmission, dans la naissance d’un enfant handicapé, est en effet vivement investie. Elle intervient dans ce cadre bien au-delà de la stricte dimension biologique. C’est la dimension fantasmatique encore une fois qui va prendre le pas, et concerner tout autant la mère que le père. Car le handicap réouvre de manière aiguë la question de l’origine pour les parents. Qu’ont-ils fait, ou que n’ont-ils pas fait pour mettre au monde cet enfant ? Comme le précise Korff-Sausse[15], les parents peuvent s’acharner à trouver une explication qui va osciller entre « deux tendances contradictoires : le besoin de n’y être pour rien et le besoin d’y être quand même pour quelque chose. »

Le traumatisme

Pourquoi cette rencontre entre ces nouveaux parents et ce nouveau-né peut être un traumatisme ? Car les représentations éveillées par cette rencontre sont parfois telles qu’elles débordent la capacité de penser des parents. C’est l’effroi et la stupeur chez les parents : « les réactions de dénégations, les manifestations somatiques sont fréquentes, signes de la mise en échec de la pensée. »[16]

La première caractéristique du traumatisme est qu’il est une « situation hors du commun confrontant directement le sujet à la mort ou à l’intolérable »[17] et que cette situation déborde alors toutes les défenses du sujet : aucun des parents ne peut y avoir été préparé même si tous l’ont peut-être envisagé durant la grossesse.

La seconde est « le revécu répétitif de l’événement traumatique » et le fait que « la pensée est polarisée par l’événement »[18], les facultés mentales sont comme suspendues. Cet événement traumatique suscite donc des représentations intolérables chez les parents, mais il vient également réactualiser le passé de ces derniers, ainsi que certains sentiments qui vont faire écho à leur propre histoire, tout en réactivant des fantasmes inconscients bien souvent inacceptables pour ces parents. Des fantasmes de meurtre sont inévitables, même s’ils sont rarement évoqués tant ils sont insupportables pour les parents et tant l’idée du meurtre de cet enfant suscite la honte. Cette envie de meurtre est d’ailleurs bien plus ouvertement exprimée chez les parents non concernés. Mais la reconnaître peut être une partie importante d’un processus d’acceptation du handicap pour ces parents et pour l’enfant, afin que la violence ne fasse pas retour sous un autre forme, plus masquée et plus pernicieuse (Les attitudes de surprotection qui viennent contrecarrer les projets pour les enfants par exemple).

Mélanie Klein écrit par exemple que dans le deuil, c’est lorsque la haine fait jour et est ressentie pleinement que l’amour de l’objet fait jour et que la personne endeuillée sent qu’elle peut conserver en elle l’objet aimé et perdu.

Une certaine amnésie péri-traumatique autour de l’annonce du handicap, autour de cette première rencontre, se produit fréquemment. « Mais ces images et ces pensées restent bien entendu vivantes et actives quelque part au fond de la psyché et demandent à pouvoir s’exprimer. Réduites au silence, remisées dans l’inconscient, elles constituent une source d’angoisse d’autant plus difficile à maîtriser qu’elle n’avoue pas son origine. »[19] Bensoussan parle par exemple de « déroute narcissique »[20] pour qualifier cette étape où la colère accompagne la culpabilité.

C’est donc le premier temps de la sidération du traumatisme.

Mais, c’est la confrontation au fantasme, son objectivation qui va peut-être constituer l’aspect le plus traumatique.

Rappelons que la naissance d’un enfant va produire des effets aux niveaux des parents en devenir du côté de leurs identifications, et ce, dans deux directions différentes.

On parle d’un mouvement régrédient d’identification au bébé, qui va alors réactiver la part infantile du parent. Le premier à l’avoir théorisé fut Winnicott avec ce qu’il a appelé « La préoccupation maternelle précoce »[21] qu’il compare tout de même à une folie passagère. Et on parle d’un second mouvement, progrédient cette fois, qui va remettre en jeu les identifications du nouveau parent avec son parent du même sexe. Ces identifications adulte-parent vont bien évidemment comporter leur part d’ambivalence névrotique mise au jour dans les angoisses quant à faire mieux ou moins bien que ses propres parents dans le fait d’avoir un enfant, de l’éduquer, etc…

Deux types de fantasmes peuvent être invoqués

Un affect va être présent massivement, c’est la culpabilité rencontrée par une sorte d’objectivation du fantasme d’une filiation fautive, incestueuse. Ce que l’on peut aisément constater dans les mythologies (rappelons-nous le mythe d’Œdipe) qui rendaient alors les Dieux responsables.

Korff-Sausse, à ce sujet, plaide pour un partage de celle-ci par les parents (si cela est possible bien entendu). La culpabilité peut être si forte qu’un des deux parents peut finir par rentrer dans une dévotion masochique afin de tenter d’expier une faute qu’il penserait avoir commise, ou encore qu’un des parents accuse l’autre d’avoir par exemple transmis un éventuel problème génétique afin de s’en libérer.

Mais le fantasme du châtiment vis à vis d’une faute oedipienne n’est pas tout.

Mélanie Klein, l’envie et la réparation

Pour aller plus loin, il faut reprendre la théorie kleinienne du développement psychosexuel tant chez les mères que chez les pères. Rappelons que Mélanie Klein s’écarte de la doxa freudienne quant à l’Œdipe en le situant beaucoup plus tôt, et surtout en apportant des éléments nouveaux concernant l’oedipe chez la petite fille.

Pour elle, le premier objet de désir du nourrisson est le sein de la mère, qu’il soit garçon ou fille. Le père est alors perçu comme un rival. Mais les angoisses schizo-paranoïdes, c’est à dire persécutives et dépressives, que va vivre l’enfant concernant son premier objet de désir, et sa mère une fois qu’elle sera perçue comme totale, comme rattachée au sein, pousseront l’enfant vers le père.

Autrement dit, le pénis du père deviendra pour la fille, comme pour le garçon, un objet de désir oral qui leur permettra de se détourner du sein. Mais auparavant, précisons que l’envie est placée par Klein au cœur de sa théorie, et donc des premiers échanges et des premières expériences du nourrisson. Là encore, Klein innove quant à l’envie chez Freud qui ne concernait, schématiquement, que l’envie de pénis chez la femme. Il ne faut pas confondre selon elle l’envie de la jalousie. Dans « Envie et gratitude », elle les distingue clairement et fait de l’envie un sentiment primitif. C’est une sorte d’avidité à vouloir posséder toutes les bonnes qualités qu’on peut extraire d’un objet sans se soucier des conséquences que cela peut produire sur l’objet, autrement dit, au risque même de le détruire. Et s’il est impossible de s ‘approprier ses bonnes qualités, l’envie poussera alors à détruire l’objet afin de ne plus ressentir ce sentiment finalement accablant. Cet aspect peut donc, selon Klein, devenir particulièrement nuisible au développement de l’enfant car il devient un obstacle aux introjections des bonnes expériences avec l’objet, dès que celui-ci est perçu comme gratifiant. Finalement l’envie, et surtout l’avidité contenue dans cette envie, peut être conçue comme une extériorisation directe de la pulsion de mort.

C’est pourquoi le sein, premier objet source de bien-être, idéalisé au tout début de la vie, va susciter des sentiments d’envie chez le nourrisson qui désire s’accaparer sa perfection. La nourriture extraite du sein devient également source d’envie. Et le nourrisson peut commencer à projeter toutes ses angoisses et ses désirs destructeurs dans ce sein. Il peut finalement désirer détruire ce sein. Et une fois que la position dépressive est atteinte, ces attaques contre le sein peuvent se poursuivre contre la mère, son corps et tout ce qu’il contient à l’intérieur, notamment les bébés.

Mais la position dépressive atteinte va de pair avec la possibilité de ressentir de la culpabilité. Le nourrisson peut se voir alors confronté à la culpabilité d’avoir endommagé, ou même détruit sa mère. Ainsi ces attaques vont finir par se solder par le désir de réparation, et plus l’agressivité due à l’envie est présente, plus elle peut engendrer un désir de sollicitude et de restauration. Cette réparation est particulièrement importante dans le développement, car elle permet à l’enfant de reconstituer ces objets internes et de ne pas ses sentir désespéré face à la haine qu’il peut ressentir dans la frustration. Le désir de reconstituer un bon objet interne et externe va finir par être une base d’activités créatrices afin de maintenir des bonnes relations.

Ainsi, lorsqu’une femme devient une mère, ses fantasmes précoces et ses angoisses concernant sa propre relation à sa mère sont réactivées. Et les angoisses d’avoir un bébé anormal, qui sont classiques, peuvent être alors interprétées comme les possibles représailles d’avoir attaquer l’intérieur du corps de la mère. Ainsi, on peut imaginer comment un enfant handicapé peut venir là objectiver des fantasmes de destruction que la toute nouvelle mère a pu antérieurement ressentir à propos de la mère archaïque de sa vie fantasmatique.

Côté père, il ne faut pas absolument pas oublier la souffrance qui peut s’y jouer comme on a pu le faire auparavant. En effet, on ne voit pas pourquoi la blessure narcissique ne les concernerait pas ? (Les projections narcissiques du père peuvent d’ailleurs être visibles lorsqu’elles conduisent par exemple au fantasme d’enfantement ou encore de « couvade »[22] mais également dans des états dépressifs) Et même peut-être encore plus que les mères tant le handicap peut être vécue comme une castration ! Le féminin n’est pas l’exclusivité des femmes. Et Korff-Sausse pense à ce sujet que « la relation avec un enfant handicapé vient dévoiler la dimension féminine de la fonction paternelle », rarement mise en avant il est vrai. Aussi, on peut se poser la question si l’on ne pourrait pas parler au final d’une « préoccupation paternelle primaire » ?

Dans tous les cas, ignorer cette souffrance du côté des pères par des attitudes de déni du côté des soignants laisse les pères dans leur désespoir ou leur fuite éventuelle cherchant d’autres gratifications, professionnelle par exemple. Et on peut se demander si ce refus du masculin dans un univers essentiellement féminin bien souvent ne serait pas un déplacement du refus de la sexualité chez ces enfants handicapés, futurs adultes sexués. Et on sait combien la sexualité et son potentiel de procréation est une limite à l’intégration des handicapés : soit absente, soit monstrueuse. Rappelons-nous un passage du Vilain petit canard : « Tu peux te flatter d’être énormément laid ! dirent les canards sauvages ; mais cela nous est égal, pourvu que tu n’épouses personne de notre famille. »

Défenses maniaques et idéalisation

Enfin terminons avec le fait que la naissance d’un enfant handicapé entraîne des conséquences particulièrement importantes quant à vie sociale des familles. Les solutions matérielles à trouver pour l’éducation de l’enfant, sa vie quotidienne, d’une part sont coûteuses en temps et en énergie, mais d’autre part, cela peut se loger dans le regard et les attitudes des autres également qui, même avec de bonnes intentions, marquent le changement de statut de ces parents.

Des défenses maniaques chez les parents peuvent se mettre en place contre les pertes liées à la venue de cet enfant (perte de la mobilité, de la possibilité d’avoir plus de temps pour eux, etc…).

Suite à cette mutation anthropologique, et les changements de nos rapports à l’altérité, on voit également de plus en plus l’idée que le handicapé a peut-être quelque chose en moins, mais il aurait quelque chose en plus. Cela est lié à la question de l’idéalisation. L’enfant handicapé peut venir ainsi capter toutes les attentions car il représente nos parties infantiles les plus vulnérables que l’on voudrait protéger et réparer. Ainsi, un processus d’idéalisation peut se mettre en place vis à vis duquel il faut être vigilant car la persécution succède bien souvent à l’idéalisation. Mais l’objet idéal peut devenir en retour rapidement un objet persécutant au sein des groupes et institutions, y compris dans les relations. Idéaliser un enfant handicapé peut également l’enfermer dans un rôle qui ne lui permet pas de se développer.


[1] Korff-Sausse S., Le miroir brisé, l’enfant handicapé, sa famille et le psychanalyste, Calmann-Levy 1996, p.8

[2] Korff-Sausse S., Le miroir brisé, l’enfant handicapé, sa famille et le psychanalyste, Calmann-Levy 1996, p.8

[3] ibid., p. 145

[4] Guidetti M.& Tourrette C., Handicaps et développement psychologique de l’enfant, Armand Colin, 2002, p.146

[5] Sigmund Freud, « Pour introduire le narcissisme », in Œuvres complètes, tome XII, PUF, 2005, p. 234

[6] Ibid., p. 235

[7] Bernard Golse, « La “grossesse” des parents adoptants », in La grossesse, l’enfant virtuel et la parentalité, p.193 à 213.

[8] Bernard Golse, « La “grossesse” des parents adoptants », in La grossesse, l’enfant virtuel et la parentalité,  p.195.

[9] ibid., p. 197.

[10] Bernard Golse, « La “grossesse” des parents adoptants », in La grossesse, l’enfant virtuel et la parentalité, p.198.

[11] ibid., p. 196.

[12] Sausse S., Le miroir brisé, l’enfant handicapé, sa famille et le psychanalyste, Calmann-Levy 1996, p.44

[13] Brazelton B. & Cramer B., Les premiers liens, Calmann-Levy, 1991, p. 169

[14] Oé K., Une affaire personnelle, Stock, 2000.

[15] Simone Korff-Sausse « L’impact du handicap sur les processus de parentalité », Reliance, 2007, n°26

[16] Korff-Sausse, Le miroir brisé, l’enfant handicapé, sa famille et le psychanalyste, Calmann-Levy 1996, p. 33

[17] Plagnol A. « Sémiologie en psychopathologie de l’adulte », in Psychologie clinique et psychopathologie, Nouveau cours de psychologie sous la direction de Ionescu S. & Blanchet A. p.130

[18] ibid. p.130

[19] Korff-Sausse, Le miroir brisé, l’enfant handicapé, sa famille et le psychanalyste, Calmann-Levy 1996, p. 35

[20] Bensoussan P., L’annonce faîte aux parents, Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, 1989, 37, p. 435

[21] D.W. Winnicott « La préoccupation maternelle primaire », 1956, in De la pédiatrie à la psychanalyse.

[22] A ce sujet, Dominique Cupa rapporte quelques exemples dans son article « Le complexe de grossesse du père », in La grossesse, l’enfant virtuel et la parentalité, p. 166 à 170.

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