Notes sur « Une histoire de machines, de vampires et de fous » – Episode 1

Paris, le 1 septembre 2011.

Le livre : « Une histoire de machines, de vampires et de fous »

L’auteur : Pierre Cassou-Noguès est né en 1971, il est philosophe et chercheur au CNRS. Il enseigne à l’université Lille III. Il a travaillé en philosophie des sciences et s’intéresse actuellement aux rapports entre science et littérature notamment autour du thème de la machine.

L’insolite au détour d’une rencontre…

Un homme rencontre une femme dans un bar. Il la suit, et va prendre un verre chez elle. Quoi de plus ordinaire, si ce n’est que…

L’insolite est la rupture, l’échappée hors de l’ordre des choses, « qui, en conséquence, étonne, déconcerte, surprend […] » et échappe « au banal, à l’ordinaire», mais aussi au spectaculaire[1]. C’est « l’intrusion dans l’univers banal d’une réalité située sur un plan différent »[2]. Dans cet essai de philosophie-fiction, l’entrée dans l’insolite commence par une morsure.

Car la femme est un vampire… d’un genre un peu spécial. Ceci n’étant que le début d’une aventure un peu spéciale pour ce pauvre homme. En effet cette morsure aura un effet étrange.

On s’écarte donc ici du mythe traditionnel du vampire, et on va commencer à cheminer « phénoménologiquement ».

« […] c’est comme cela que j’explique que ce vampire, en réduisant mon corps n’ait laissé de moi qu’une image. […] La morsure du vampire a eu ceci d’étrange qu’elle a défait mon corps sans interrompre mon existence. Celle-ci s’est seulement repliée sur l’autre terme, l’image, qui accompagnait ma vie corporelle. Déplacée dans un autre corps, un corps en peinture.»[3]

Cette morsure a donc eu l’effet suivant. L’homme se retrouve dans un tableau incarné dans le corps, vide, d’un homme peint sur une toile. Et c’est à partir de cette situation, peu banale, que Cassou-Noguès va s’amuser littéralement à essayer de décrire ce que peut vivre cet homme, dans sa nouvelle condition, et par là interroger la façon dont nous vivons au quotidien le fait d’être nous-mêmes incarnés dans un corps physique.

« Il me semble évident que le corps, dans l’existence humaine, se vit d’abord de l’intérieur. C’est une sorte de lieu obscur, sans lumière et peuplé d’une multitude de sensations […] »[4]

Qu’est-ce qu’une existence lorsqu’on a un corps vivant, fait d’organe et de fluides, ou plutôt, comment peut-on décrire, de l’intérieur, le fait de vivre dans un corps qui possède un intérieur ? Telle est la question de départ de Cassou-Noguès, qui va, de questionnements en interrogations, et telle une enquête policière (Sherlock Holmes fera partie des figures littéraires convoquées d’ailleurs), emprunter le chemin de l’imaginaire pour justement explorer les méandres de ce dernier.

Comment savons-nous que ce corps est bien le nôtre ? Que ce visage dans la glace est le nôtre ? Sachant qu’ « il n’y a pas de rapport immédiat entre ce que je vis de l’intérieur, ce corps morcelé par des sensations différentes, et cette image que je saisis dans le miroir. »[5] On pense ici évidemment au stade du miroir de Lacan, que Cassou-Noguès dramatise au travers de cette fiction d’un homme peint, et pourtant toujours vivant, à travers laquelle il cherche à nous montrer combien l’identification à des images est au cœur de notre subjectivité.

Je n’irai pas plus loin dans la description de sa fiction, et vous laisse le soin d’y goûter par vous-mêmes. Les références, tant à la littérature, qu’aux mathématiques et à la logique, y sont nombreuses et hétéroclites. Elles vont de Borgès, Conan Doyle, ou encore le film Matrix, en passant par Turing, Lacan donc, mais aussi Gödel, dont Cassou-Noguès écrivait une biographie au moment même où il écrivit ce texte fictionnel : Les démons de Gödel, logique et folie[6]. Ces deux écrits, quoique de constructions fort différentes, forment en effet une sorte de diptyque.

On continuera plus tard sur « la méthode » et la thèse de ce livre de philosophie-fiction…


[1] insolitus provient du participe solere qui désigne la coutume de faire quelque chose, l’être habituel. Editorial de la revue  « Recherches en Esthétique » sur le thème de l’insotlite

[2] Vocabulaire d’esthétique, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 1999, p. 889.

[3] Pierre Cassou-Noguès, Une histoire de machines, de vampires et de fous, Vrin, 2007, p.16.

[4] Pierre Cassou-Noguès, Une histoire de machines, de vampires et de fous, Vrin, 2007, p.14.

[5] Pierre Cassou-Noguès, Une histoire de machines, de vampires et de fous, Vrin, 2007, p.15.

[6] Pierre Cassou-Noguès, Les démons de Gödel, logique et folie, Seuil, 2007.

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5 réponses à “Notes sur « Une histoire de machines, de vampires et de fous » – Episode 1”

  1. #1. Lucie le 1 septembre 2011 à 20 h 58 min

    cela s’avère passionnant non ? et un peu anxiogène aussi….


  2. [...] machines, de vampires et de fous et Mon zombie et moi. J’ai déjà commencé à en parler ici : Notes sur « Une histoire de machines, de vampires et de fous » – Episode 1 et les suites Episode 2, Episode 3 et Episode [...]


  3. [...] avance des choses intéressantes, à savoir Pierre Cassou-Noguès. Ce dernier a écrit notamment Une histoire de machines, de vampires et de fous et Mon zombie et [...]


  4. [...] Vincent LE CORRE – Psychologue – Psychanalyste − Notes sur « Une histoire d… Source: vincent-le-corre.fr [...]

  5. #5. » Lancement en Janvier 2012 Imaginaire Studies le 31 décembre 2011 à 17 h 58 min

    [...] Première partie [...]

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