Psychanalyse du Net – Episode 1

C’est un ouvrage qui date de 2000. Ouvrage souvent cité comme pionnier dans l’étude psychanalytique des espaces cybernétiques et des effets sur les sujets du point de vue de la psychanalyse. Michael Civin, son auteur, définit ainsi l’objet de son livre :

“Comment concevons-nous nos relations avec les autres, et quel rôle la “communication médiatisée par ordinateur” – le courrier électronique, Internet et ses divers moyens de communication – joue-t-elle dans le réseau potentiellement infini de ces relations ? Tel est le sujet de ce livre.”1

Concernant cet auteur, Michael Civin, selon Yann Leroux, il est très difficile de trouver d’autres références ou traces de cet auteur, à un point tel qu’on peut se demander si l’auteur lui-même n’est pas un bot…

Geneviève Lombard a écrit un post sur ce livre également, et met en avant le fait, rare il est vrai, que le livre contient beaucoup d’histoires, d’histoires cliniques.

Quant à moi, je souhaiterais partager ici quelque unes de mes questions actuelles, à partir de ce livre. Les premières sont les suivantes :

La “rencontre” au sein de la “communication médiatisée par ordinateur”

Comment penser l’altérité et la rencontre au temps de la “communication médiatisée par ordinateur” ? Tel pourrait être le sous-titre de ce livre. A ce sujet, Sylvain Missonnier parle donc dans sa préface d’un danger pour les utilisateurs d’Internet au sujet de l’altérité : “L’altérité minimaliste et distanciée des personnes “rencontrée” sur Internet laisse croire à une relation véritable sans toutefois en comporter les exigences.”

Le fait que le mot de rencontre soit mis entre guillemets souligne bien le besoin que l’on ressent de distinguer entre une rencontre online et IRL. Et quelles exigences laisse-t-on de côté lorsque l’on se contente d’une relation online ?

Civin exprimera ce fait au début de son livre en terme de paradoxe  “ [...] une relation médiatisée par ordinateur peut permettre à un individu de satisfaire avec plus ou moins de succès le besoin profondément humain d’avoir des relations et, en même temps, favoriser chez lui le repli paranoïde, en lui évitant toute forme d’engagement intersubjectif.”2

Une autre piste : numérique et perte

Civin indique un passage de Searles où ce dernier relie technologie et perte de façon prophétique. Cela ressemble à l’épisode 1 de la saisons 2, Be right Back, de l’excellente série Black Mirror sur l’usage des chatbots conversationnels pour pallier la souffrance de la perte de l’objet aimé.3

Une autre piste encore :

C’est la récurrence du thème de la différence des sexes et de la technologie numérique, dont l’ouvrage de Civin est un exemple parfait, qui m’a également frappé. Le titre original est tout de même Mail, Female, e-mail !

Il se demande par exemple comment la technologie numérique peut permettre aux parlêtres d’explorer de nouvelles modalités d’être humain. Et de ce point de vue, la différence des sexes pourrait s’effacer au profit d’un “genre technologique” qu’il nomme “l’emailien”. « Du point de vue de la communication médiatisée par ordinateur [...] la distinction entre masculin et féminin s’efface au profit de l’”emailien”, qui n’a que le technologique pour genre.”4

Cette indistinction ou ce “brouillage” entre d’une part l’humain, le non-humain et les deux sexes est contenue dans un article d’Alan Turing, datant de 1950, et Civin le cite d’ailleurs5 même s’il n’en fait peu de cas finalement. Mais on peut s’apercevoir avec l’exemple qu’il donne d’une conversation entre un être humain appelé Barry et un chatbot nommé Julia que la situation du test de Turing est aujourd’hui largement répandu avec la diffusion d’Internet dans nos espace relationnels.

Si l’on reprend avec Guy Le Gaufey6 la genèse de l’apparition du fameux aphorisme de Lacan “Il n’y a pas de rapport sexuel” qui constitue le réel du sexe du point de vue de la psychanalyse, on trouve cette image de la technique qui permettrait par contre de sortir (de façon imaginaire) de l’ambiguïté sexuelle fondamentale ( ambiguïté sexuelle fondamentale au sens où l’entend Geneviève Morel dans son livre Ambiguïtés sexuelles) propre au champ humain :

“Si j’ai dit qu’il n’y a pas d’acte sexuel, c’est au sens où cet acte conjoindrait, sous une forme de répartition simple, celle qu’évoque dans la technique, par exemple dans les techniques usuelles, dans celle du serrurier, l’appellation de pièce mâle ou de pièce femelle. Cette répartition simple constituant le pacte, si l’on peut dire inaugural, par où la subjectivité s’engen­drerait comme telle : mâle ou femelle.”7

Lacan exprimait là l’impossibilité de trouver et de prouver dans le champ humain, exactement le contraire de ce que l’on imagine très bien du point de vue de la technique, à savoir “l’existence de l’acte sexuel  [...] au sens d’un acte qui ferait des partenaires qu’il articule des individus ressortissant pour l’un à ‘homme’ et pour l’autre à ‘femme’.”

Les liens entre la technique (et plus particulièrement les possibilités offertes par le numérique) et les aléas de la sexuation me semblent en tout cas  un champ à explorer…

  1. M. Civin, Psychanalyse du Net, Hachette, 2002, p.17 []
  2. M. Civin, Psychanalyse du Net, Hachette, 2002, p.47 []
  3. M. Civin, Psychanalyse du Net, Hachette, 2002, p.20 []
  4. M. Civin, Psychanalyse du Net, Hachette, 2002, p.34 []
  5. M. Civin, Psychanalyse du Net, Hachette, 2002, p.45 []
  6. Guy Le Gaufey, Hiatus sexualis, Du non rapport sexuel chez Lacan, Epel, 2013 []
  7. Guy Le Gaufey, Hiatus sexualis, Du non rapport sexuel chez Lacan, Epel, 2013, p.50-51 []

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