Interview pour le journal des femmes : sur les jeux vidéo

Audrey Achekian est journaliste pour la rubrique « Maman » du journal des femmes. Elle m’avait contacté pour une petite interview au sujet des jeux vidéo. L’article est publié ici.

Photo tirée du site Gameblog

Voici ses questions et mes réponses.

1- A partir de quel âge estimez-vous que l’on peut autoriser les jeux vidéo à son enfant ?

Du point de vue général des « écrans », je pense que les préconisations de Serge Tisseron peuvent servir de cadre de référence pour les parents. Il présente cela comme la règle des « 3, 6, 9, 12 ».

Avant trois ans, il faudrait éviter que l’enfant ne soit exposé aux écrans en général. Pas de console portable de jeux avant 6 ans minimum, car les enfants ont besoin d’apprendre à se servir de leurs doigts et leurs mains, afin de développer l’appréhension des trois dimensions de l’espace, ce qui est très important dans leur développement psychomoteur. Les jeunes enfants ont d’abord et avant tout, besoin d’interactions avec des adultes et des pairs.

L’enfant pourrait commencer à surfer sur Internet, accompagné, à partir de 9 ans, car selon Tisseron, l’internet brouille les repères entre les sphères intime et publique qui se construisent également au cours du développement de l’enfant. Enfin, à partir de 12 ans, les adultes pourraient continuer d’accompagner de temps en temps l’enfant, afin de pouvoir parler ensemble des usages d’internet.

2- Quelles sont les limites qui vous semblent justes (temps de jeu, type de jeux autorisés…) ?

Comme toute autre activité, les jeux vidéo doivent être encadrés par les éducateurs en général, et les parents en particulier. Concernant l’enfant, il peut donc avoir accès à sa console dans une certaine limite de temps. Une heure par jour me semble amplement suffisant par exemple. On peut le valoriser lorsqu’il sait respecter le cadre qu’on lui a fixé. Les enfants sont généralement plus sensibles aux gratifications qu’aux punitions, comme le jeu vidéo nous le montre…

Concernant le type de jeux, si les parents sont un peu perdus, ils peuvent utiliser le système PEGI (Pan European Game Information) qui a été mis en place par l’Union Européenne pour se repérer quant à la question « Quel jeu pour mon enfant ? ». C’est une classification en fonction du contenu du jeu et de l’âge de l’enfant.

3- Y a-t-il des précautions particulières à prendre lorsqu’il s’agit d’un enfant (de moins de 10 ans) concernant les jeux vidéo ? (ex : lui demander de jouer à nos côtés, etc.)

Les jeux vidéo ne sont pas une potentielle menace pour l’enfant. Un enfant a besoin de jouer, et parfois également de jouer seul.

Il existe cependant des jeux qui permettent maintenant de faire participer toute la famille. Cela peut être une bonne façon pour les parents d’essayer de comprendre et même de prendre plaisir à cette activité vidéoludique, avec leurs enfants.

D’un point de vue général, le cadre éducatif qui va donner les limites par rapport à cette activité doit être construit pour que l’enfant y trouve son compte de plaisir, mais également son compte de stabilité.

Le conseil que j’adresserai aux parents concernant les jeux vidéo est assez simple. S’intéresser de manière active aux jeux en général des enfants, donc également aux jeux vidéo. Non pas en surveillant en permanence, mais en essayant de faire du jeu vidéo le support d’une relation, afin de faire en sorte que cette expérience soit partageable, soit une source de plaisir à partager. C’est en effet un plaisir pour l’enfant que de pouvoir se mettre à raconter ses aventures vidéoludiques, là où il prend plaisir, ce qu’il découvre, les astuces, ses problèmes, etc. Un enfant a besoin de mettre en narration ces expériences ludiques et a fortiori vidéoludiques. Cela lui permet d’élaborer avec un autre sujet humain ce qu’il a investi comme pulsions et désir dans son jeu.

4- Si c’est un ado, comment éviter qu’il ne devienne trop « accro » ?

Votre question semble dire implicitement qu’il y aurait un danger potentiel « d’accrochage », ou de « dépendance » avec cet objet culturel… Les jeux vidéo peuvent être en effet passionnants pour un adolescent. Mais pour les parents, il s’agit à mon sens d’éviter un regard d’emblée trop méfiant, ou trop inquiet.

Concernant l’adolescent qui peut avoir tendance à jouer « un peu trop », la difficulté est déjà de définir ce « trop ». Et je dirai que cela dépend d’abord de ce qu’il cherche dans cette activité qu’il va investir. Un adolescent peut développer par exemple différentes activités autour du jeu vidéo, jusqu’à apprendre à programmer. Il ne fait plus alors « que jouer », il se sert du jeu vidéo comme médiation vers la culture en général.

Il faut souligner que les jeux vidéo sont aujourd’hui désignés comme de véritables boucs émissaires de nombreux problèmes ou questions d’ordre éducatif. Il n’est pas simple d’éduquer un enfant ou un adolescent. Aussi il est toujours plus facile d’essayer de désigner un coupable plutôt que d’essayer de penser ce qui se pose à nous comme problèmes. Si un enfant a du mal à apprendre à l’école, si un adolescent n’a plus envie d’aller au collège, et si certains jeunes tuent ou se suicident, ce n’est pas la faute des jeux vidéo. Ils seraient d’ailleurs plutôt une tentative, certes illusoire, pour aller mieux et trouver une solution temporaire à certains problèmes.

Donc, comme je le disais, il est nécessaire pour les parents de s’intéresser aux activités de leurs enfants, et de pouvoir partager des discussions sur celles-ci. Aussi, d’un point de vue général, rendre sensibles enfants et adolescents à l’histoire des jeux vidéo est important et intéressant dans la mesure où cela peut changer le regard du joueur (et du non-joueur). On peut le faire en replaçant les jeux actuels dans l’histoire de ce média, à l’aide de livres, de documentaires, de sorties au musée ou à des expositions qui se multiplient.

Avec certains, essayer la négociation, des petits contrats, en privilégiant toujours la gratification, plutôt que l’unique sanction. Avec d’autres, essayer d’analyser avec eux la mécanique des jeux, les idéologies qui y sont implicites. Mais ne tentez pas de dévaloriser systématiquement les jeux vidéo que votre adolescent affectionne. En agissant ainsi, vous aurez à mon sens tendance à les rendre encore plus attractifs à ses yeux…

5- Que faire s’il tombe dans la dépendance ?

Rappelons qu’il n’y a aucun consensus scientifique quant à ce que certains appellent « addiction aux jeux vidéo », ou « dépendance aux jeux vidéo ». L’académie de médecine vient de présenter un communiqué sur ce point, et préconise de parler de « pratiques excessives ».

Encore une fois, il n’est pas toujours évident de distinguer une passion d’une dépendance. Il faut prendre en compte non simplement la quantité de temps passé à jouer, mais aussi la qualité, c’est-à-dire quelle place, quelle fonction du jeu vidéo, à quoi cela répond chez ce jeune, etc.

Evidemment, si vous vous sentez un peu perdus avec votre enfant ou votre adolescent, et si vous commencez à avoir peur, il est possible de consulter. La pratique vidéoludique excessive existe, et elle est le signe d’une certaine souffrance et de problèmes qui dépassent largement la simple question des jeux vidéo. Elle est à replacer à la fois dans la dynamique familiale et celle du sujet.

mot(s)-clé(s) : , ,

You can leave a response, or trackback from your own site.

Répondre