La dialectique de la frustration (12/12/1956)

Paris, le 22 septembre 2011.

La semaine suivante, Lacan propose d’emblée un tableau récapitulatif « qui permet d’articuler avec précision le problème de l’objet tel qu’il se pose dans l’analyse »[1].

Agent Manque d’objet Objet
Castration

Dette symbolique

imaginaire
Frustration

Dam imaginaire

réel
Privation

Trou réel

symbolique

Puis il dit une chose intéressante qui prend à rebours l’idée répandue selon laquelle le scandale de la psychanalyse serait d’avoir mis l’accent sur la sexualité (voir d’avoir produit un certain pansexualisme), à savoir que le scandale serait plutôt d’avoir exposé les paradoxes de cette sexualité, à savoir par exemple que « l’approche de l’objet sexuel présente une difficulté essentielle qui est d’ordre interne. »[2]

Il en dira une autre un peu plus loin que je trouve tout aussi importante, car peu reprise. C’est le fait que l’important dans le développement de l’enfant, est non pas la fameuse toute-puissance de cet enfant, mais la toute-puissance de la mère ou de son substitut. C’est un des signes qui montrent que Lacan est en dialogue critique avec Winnicott dans ce séminaire.

Cette première idée donc contredit, on le dit encore une fois, toute approche théorique qui proposerait la théorie d’un objet pleinement satisfaisant pour le sujet.

Pour le démontrer, il rappelle au travers d’une citation[3] issue de l’article de 1915 « Pulsions et destins de pulsions », que Freud n’établissait aucun lien préétabli entre la pulsion et son objet. L’objet est conçu comme variable et même interchangeable vis-à-vis de la satisfaction de cette pulsion.

La notion qui va par contre être au centre de cette séance est donc celle de frustration.

« Il s’agit pour nous de la critiquer afin de la rendre utilisable et, pour tout dire, cohérente avec ce qui fait le fond de la doctrine analytique […] »[4].

Rappelons que la castration, comme on l’a vu au cours de la séance « Les trois formes du manque d’objet du 28/11/1956 », est en lien avec l’ordre symbolique, et plus précisément avec une dette symbolique. L’objet de cette dette est (pour le moment) un objet imaginaire, et c’est le phallus.

A propos du phallus, et de sa nature

A ce sujet, on peut rappeler la question que pose Moustapha Safouan dans son livre Lacaniana au sujet de cet objet imaginaire phallique. S’agit-il « du même imaginaire que celui qui est en jeu dans la relation avec le semblable, l’imaginaire spéculaire »[5]. C’est une question qui touche juste, car il se pourrait ainsi que l’imaginaire dégagée par la notion de phallus soit d’un ordre différent que celui dégagé par la relation au miroir.

Pour Safouan, c’est une distinction importante, car « La difficulté qu’aura Lacan à frayer son chemin sera d’autant plus grande que la question [celle d'un imaginaire distinct] n’est pas formulée. Celle que le lecteur aura à le suivre ne le sera pas moins. »[6].

Il me semble également que c’est une question que traite Braunstein dans le chapitre « Le phallus comme SOS (signifiant, organe, semblant) »[7] de son livre Depuis Freud, après Lacan – déconstruction dans la psychanalyse. Braunstein examine comment la nature du registre dans lequel Lacan situe ce phallus oscille tout au long des années de son séminaire. En suivant Braunstein, il faudrait donc examiner de plus près comment Lacan écrit sur le phallus dans son article la signification du phallus[8] en mai 1958, et comment il semble rectifier son propos au cours du séminaire de 1970-1971, D’un discours qui ne serait pas du semblant[9].

Mais ce sera pour une autre fois…

L’enjeu réel de la frustration

Revenons à la question de la castration, la question qui se pose est celle d’y articuler la notion de frustration. Et la première étape au sujet de la frustration va être de noter avec insistance que la frustration introduit un mode de relation à l’objet qui est à placer sur le plan du réel.

Lacan rappelle combien la littérature psychanalytique a porté un intérêt croissant aux conditions réelles du développement du sujet. Cela est palpable jusqu’à aujourd’hui. J’ajouterai que ce fut aussi le développement d’un intérêt des psychanalystes pour l’observation directe des enfants. Lire ici et ici sur le courant d’étude des interactions précoces

Une définition de la frustration pourrait être selon Lacan :

« La frustration est donc considérée comme un ensemble d’impressions réelles, vécues par le sujet à une période de développement où sa relation à l’objet réel est centrée d’habitude sur l’imago dite primordiale du sein maternel, par rapport à quoi vont se former chez lui ce que j’ai appelé tout à l’heure ses premiers versants et s’inscrire ses premières fixations, celles qui ont permis de décrire les types des différents stades instinctuels. »[10]

Alors « […] qu’en est-il de ce rapport, le plus primitif, du sujet avec l’objet réel ? »[11]

L’auto-érotisme désigne-t-il un état où n’existe pas d’objet réel, extérieur au sujet, et avec lequel justement le sujet serait en relation ? Le sein peut-il être considéré comme un objet réel pendant la phase dite auto-érotique ?

Avant d’aborder la théorie kleinienne pour avancer sur la notion de frustration, Lacan cite comme premier exemple la théorie du primary love des Balint, qui tente selon lui de concilier l’existence d’une phase auto-érotique  et l’existence d’un objet réel, reconnu par l’enfant pendant cette phase, en proposant cette idée d’un amour parfait et complémentaire entre l’enfant et sa mère. Puis il la critique comme tout à fait contraire à l’expérience clinique.

Il soutient par contre les positions de Klein, vis-à-vis de critiques qui reprochent à « la géniale tripière » de produire une sorte de schéma du développement où justement, tout serait déjà contenu en quelque sorte à l’intérieur du sujet, une théorie platonicienne qui oublierait finalement les conditions réelles dans lesquelles se développe le sujet, pour mettre l’accent sur la reconnaissance. Lacan finit par s’interroger sur l’hypothèse qui lui semble féconde de l’Œdipe précoce selon Klein.

Ces détours pour revenir au point de départ :

« On a tort de ne pas partir de la frustration qui est le vrai centre quand il s’agit de situer les relations primitives de l’enfant. »[12]

Les deux pôles de la frustration et…  les jeux vidéo

Lacan propose finalement deux versants dans la frustration :

1)      L’objet réel. Pas de manque. Pour Lacan, même dans la phase auto-érotique, où l’autre n’est pas encore conçu, l’objet réel existe et exerce bel et bien une influence sur l’enfant, « bien avant d’avoir été perçu comme objet. »[13] Mais surtout, il faut l’introduction de « périodicité » entre des absences, des « trous et des carences », pour que cet objet commence d’être perçu véritablement par le sujet.

2) L’agent. C’est-à-dire ici la mère. « La mère est autre chose que l’objet primitif. Elle n’apparaît pas en tant que telle dès le départ, mais, comme Freud l’a souligné, à partir de ses premiers jeux, jeux de prise d’un objet parfaitement indifférent en lui-même et sans aucune espèce de valeur biologique. »[14] C’est la mère qui, par ses jeux donc, va introduire le sujet au manque d’objet.

Lacan s’est donc bien intéressé à Winnicott. J’aurais envie de dire que ses propositions, ce que Miller appelle « La théorie du manque d’objet », s’articulent avec celles de Winnicott sur l’aire transitionnelle, elles semblent tout à fait se construire en dialogue avec le psychanalyste britannique. En dialogue critique, il faut ajouter.

Car Lacan dit à un moment, au sujet de cette frustration, que l’objet peut changer de statut uniquement grâce à cette périodicité des absences, et que nous n’avons pas besoin de postuler chez le sujet la distinction d’un moi et d’un non-moi.[15]

Alain Vanier rappelle que le 3 février 1975, à l’Institut français de Londres, Lacan disait que son objet a était ce que Winnicott appelait l’objet transitionnel[16]. Il rappelle également que les points de rencontre entre ces deux grands analystes ont été autour de trois thèmes principaux : « Tout d’abord la question de l’objet, puis celle du stade du miroir et enfin celle du self. Avec en filigrane, le problème de la position de l’analyste dans la cure. »[17]

Concernant les jeux vidéo, il a souvent été question d’auto-érotisme à leur sujet. La thèse de Mathilde Cador-Delcourt s’intitule par exemple : « L’addiction aux jeu vidéo : une activité auto-érotique ? »[18]

L’objet serait réel, le manque imaginaire. On parle de jouissance auto-érotique où l’Autre serait absent.

Jean-Yves Le Fourn écrit également : « Avec les jeux vidéo, l’enfant ne rejoue que rarement : il demande à ce qu’on lui en ‘achète  un autre’. Le plaisir à jouer, à partager du temps, à recommencer est remplacé par le plaisir du « toujours plus » d’isolement, du «  toujours plus » de jouissance auto-érotique. En paraphrasant Melanie Klein, on pourrait dire que « le jeu (vidéo) transforme l’angoisse de l’enfant en réussite (impossible) de rencontrer cet Autre, autre que lui-même ». Peut-on alors jouer, au-delà du défi ou d’une compétition classique, avec la rencontre d’un Autre soi-même virtuel ? »[19]

De quelle nature est cet Autre virtuel, cette IA, pour le joueur ? Je ne suis pas certain qu’elle puisse se réduire à « soi-même ». Il n’est pas certain que le temps du jeu, il soit difficile de distinguer si l’IA du jeu vidéo est si différente d’un Autre sujet, d’un Autre, certes absent physiquement.

On pourrait également essayer de reprendre cette réflexion autour de la frustration dans les jeux vidéo. Car ces derniers fonctionnent beaucoup avec elle. C’est un grand moteur dans ce type de jeux. Comme le dit Lacan, la frustration est « une impression très réelle ».

C’est la frustration de ne pas réussir, de ne pas savoir comment passer telle situation, frustration de n’avoir pas fait un bon score, etc. Tout cela peut rendre d’ailleurs parfois un peu agressif, tendu, mais donne finalement généralement envie de s’y remettre, sauf si un point de non-retour est atteint où c’est plutôt l’abandon du jeu qui prime alors. Du côté des game designers, il faut donc un bon dosage de la frustration dans le gameplay.

Quel serait l’agent dans les jeux vidéo qui distille cette frustration ? Pourrait-elle être l’IA (l’Intelligence Artificielle) ?

Certains psychologues, comme Thomas Gaon[20], ont articulé le jeu excessif ou problématique chez certains sujets, avec la difficulté, dans certains jeux tels que les MMORPG (les jeux de rôles en ligne persistants) de se séparer. Se séparer des communautés virtuelles, des groupes en ligne dans ce type de jeux, mais aussi se séparer de cet Autre que serait l’IA, la machine. Cette séparation serait à articuler avec cette alternance présence/absence dont Lacan, dans cette séance de son séminaire, fait précisément les conditions de possibilité d’articulation d’une relation réelle avec une relation symbolique.

En effet, à la suite de Freud (relire l’analyse du jeu d’enfant faite par Freud au travers de celle de son petit-fils, Ernst, dans l’« Au-delà du principe de plaisir »), Lacan articule ce qu’il appelle « le registre de l’appel » (« L’objet maternel est proprement appelé quand il est absent – et quand il est présent, rejeté, dans le même registre que l’appel, à savoir par une vocalise »[21]), avec « la présence-absence » (qui, quant à elle, « connote la première constitution de l’agent de la frustration, qui est à l’origine la mère »[22]).

Ce registre de l’appel, c’est l’amorce de l’ordre symbolique, et c’est, selon Lacan, l’élément de la relation d’objet réelle qui importe pour la transition de la frustration vers la castration.

C’est aussi pourquoi, tout bêtement, il est tout à fait intéressant de parler de cet objet vidéoludique avec les patients pour lesquels le jeu peut être excessif. La relation d’objet réelle que certains joueurs entretiennent avec certains jeux vidéo pourrait ainsi reconduire le désir de renouer une relation sécurisante avec un Autre dont la demande est tout à fait compréhensible et « le désir » pas du tout insatiable justement. En effet, il est souvent mis l’accent sur le sujet quant à sa difficulté à se séparer, notamment chez les adolescents. Mais il est plus rarement mis l’accent sur l’Autre (possiblement incarné par le parent). La demande du jeu vidéo peut ainsi être « comblée ». Le joueur sait ce que l’IA attend de lui. Il lui est possible de bien décrypter cette demande, et de la combler, en terminant tout simplement le jeu.

Jouer peut ainsi être l’occasion de remettre au travail la possibilité de se séparer, via une relation avec un Autre d’un type un peu spécial.

Pour en revenir à Lacan, ce couple présence-absence est ainsi « le premier élément d’un ordre symbolique », en ce qu’il représente un jeu d’opposition plus-moins. « […] dans l’opposition plus et moins, présence et absence, il y a déjà virtuellement l’origine, la naissance, la possibilité, la condition fondamentale, d’un ordre symbolique. » [23]

De la frustration à la castration en passant par la toute-puissance… de la mère

Lacan s’interroge sur les éléments qui permettront à ce qu’une dialectique s’installe entre la mère et l’enfant, ce qui donnera plus tard d’ailleurs le titre à cette séance.

Lacan nous livre une proposition à retenir, c’est celle de la constitution de la mère comme puissance, c’est le passage de la mère symbolique, à la mère réelle. Et corrélativement, le passage de l’objet de satisfaction qui était jusque-là réel, à un objet symbolique.

En effet, lorsque la mère, comme agent symbolique représentant ce couple d’alternance présence-absence, répondant à l’appel du sujet et offrant par exemple le sein comme objet réel, ne répond plus, « lorsque, en quelque sorte, elle ne répond plus qu’à son gré, elle sort de la structuration, et elle devient réelle, c’est-à-dire qu’elle devient une puissance. »

Associé à ce changement de nature du côté de l’agent, il y a également un changement de nature de l’objet. Car en effet, si la mère devient réelle, lorsqu’elle ne répond plus. Les objets de satisfaction, qui étaient jusqu’ici réels, deviennent cette fois « objets de don » (« L’objet vaut comme le témoignage du don venant de la puissance maternelle »), et donc « susceptibles d’entrer dans la connotation présence-absence ».

« L’objet a dès lors deux ordres de propriété satisfaisante, il est deux fois objet possible de satisfaction – comme précédemment, il satisfait à un besoin, mais aussi il symbolise une puissance favorable. »[24]

C’est là, il me semble, que Lacan discute le plus avec Winnicott. Il récuse la notion même de toute-puissance du côté de l’enfant. Pour lui, c’est celle de la mère qui compte le plus. Il n’existerait même de toute-puissance que du côté de la mère ou de son substitut. On sait combien cette expérience d’omnipotence a une place singulière dans la théorisation winnicottienne, notamment dans la construction de cette aire intermédiaire, l’aire transitionnelle.

Si l’on peut résumer les choses, nous pourrions dire qu’à partir du moment où l’agent faisant fonction de mère peut ne pas répondre à l’appel du sujet, d’un statut symbolique fondé sur cette alternance présence-absence calée sur l’appel du sujet, il passe à un statut réel fondé sur le fait qu’il peut donner cette fois l’objet attendu par le sujet.

N’existait dans l’état 1, qu’un agent symbolique, avec un objet réel de satisfaction. A l’état 2, l’agent est devenu réel, et l’objet qu’il pourvoie est devenu quant à lui symbolique, c’est-à-dire qu’il symbolise la puissance de l’agent.

« C’est un moment décisif, où la mère passe à la réalité à partir d’une symbolisation tout à fait archaïque. »[25]

C’est pour Lacan, ici, que se situe l’objet intermédiaire.

Le sujet, nous dit Lacan, a réalisé qu’il existait une puissance, extérieure, détenant tout ce dont il avait besoin, par le fait que cette puissance peut se refuser, peut refuser de donner.

Retour au phallus et articulation avec le dispositif Moi Idéal – Idéal du Moi

Lacan repart maintenant de la nature imaginaire du phallus chez Freud. Ce phallus est « à proprement parlé la forme, l’image érigée »[26] et sert d’opérateur de distinction entre ceux que l’on appelle hommes, et ceux appelées femme. Chez les femmes, toujours en suivant Freud, le phallus est mis en position d’objet manquant, donc désirable. Lacan rappelle que, pour Freud (notamment dans son article publié en 1917 « Des transpositions pulsionnelles en particulier dans l’érotisme anal »), cet autre objet qu’est l’enfant, est possiblement mis à la place de ce premier objet manquant qu’est le phallus.

Lacan revisite là la théorie du narcissisme, à l’aide du phallus. Dans son ouvrage sur le narcissisme[27], Patrick Delaroche propose de rapprocher le dispositif Moi Idéal – Idéal du Moi de ce que construit Lacan ici, à savoir l’introduction du phallus comme élément symbolique tiers dans la relation dyadique mère-enfant afin de subvertir le modèle classique de la relation d’objet fondée sur une complémentarité entre la satisfaction recherchée (ce qui serait la complétude du Moi en somme) et celle que pourrait apporter l’objet (tout ce qui manque, sur le modèle d’une relation mère-enfant parfaite, adéquate, comme on a pu le voir dans les conceptions des Balint[28] et parfois dans les études sur les interactions précoces).

En introduisant le phallus, on peut en effet essayer d’articuler de manière intéressante narcissisme et castration. Delaroche décrit ainsi « l’investissement de l’enfant comme phallus par la mère comme le paradigme de la fusion incestueuse que pourra représenter le Moi Idéal. »[29]

Que l’enfant vienne saturer le manque maternel, Lacan le dit en ces termes : « […] l’enfant en tant que réel prend pour la mère la fonction symbolique de son besoin imaginaire […] »[30] Aussi, l’étape suivante consistera en ce que l’enfant est censé s’apercevoir que ce que la mère désire est non pas lui-même, mais l’image du phallus. Ce sera donc à la phase freudienne dite phase phallique, c’est-à-dire au moment où le phallus devient l’organisateur entre les sexes (lire entre autres l’article de Freud de 1923 « L’organisation génitale infantile »), que le sujet est censé reconnaître à la fois ce décalage, mais également le fait que cette puissance maternelle qu’est l’agent symbolique devenu réel, n’est en fait pas tout-puissant, car il lui manque bien quelque chose, à savoir, le phallus.

Ce que Lacan apporte finalement[31] et que les « deux notes sur l’enfant » à Jenny Aubry résument, à la suite de Freud et de son équation pénis=enfant[32], c’est la possibilité de comprendre que la sortie du narcissisme côté enfant, doit se penser avec la mère et la contrainte s’exerçant sur cette dernière quant à désinvestir progressivement son enfant comme phallus.

Ainsi, avec Lacan et Delaroche, le Moi Idéal se constituerait durant l’étape où la mère investirait son enfant comme le prolongement d’elle-même, comme la partie d’elle-même qui lui manque et qui serait censée lui apporter toute satisfaction, à savoir le phallus. Puis, le mouvement censé succéder à cette étape, serait le désinvestissement par la mère de cet enfant-phallus, pour en faire un objet séparé d’elle. Se soumettant elle-même à la castration, l’enfant, qui pouvait être pour elle le phallus, pourra désormais chercher à l’avoir.

En suivant Lacan, le petit enfant doit donc abandonner la croyance en la possession du phallus, de son côté, mais également du côté de la mère. Il doit abandonner l’espérance de satisfaire pleinement cette mère en incarnant pour elle le phallus, puis en acceptant le fait qu’elle-même doive chercher ce qui lui manque ailleurs que chez lui. Il est à noter que ce mouvement est par ailleurs décrit chez Freud du côté de l’enfant (chez Freud, c’est un enfant actif, qui tend à désirer de manière active sa mère), c’est à dire que c’est à lui que s’adresserait d’abord le renoncement à la mère, et sur lui que s’exercerait avant tout la castration. Alors que du côté de Lacan (chez Lacan, on a plutôt le modèle d’un enfant séduit par sa mère, pris dans une séduction qui peut s’avérer d’ailleurs particulièrement dangereuse[33]), c’est d’abord la mère qui doit se soumettre à la castration, l’enfant, qui pouvait être pour elle le phallus, doit être désinvesti de cette place.

Avec Delaroche, nous pensons que le Moi Idéal représente bien ce moment où l’enfant est identifié par la mère au phallus qui lui manque. Et que se soumettre à la castration, ce qui se traduit entre autres pour la mère, à aller chercher ce phallus ailleurs que chez son enfant ou dans la relation qu’elle a avec lui, permet alors que s’enclenche chez l’enfant cette dialectique entre le Moi Idéal et l’Idéal du Moi. Cet Idéal du Moi va représenter ce à quoi l’enfant devra désormais se soumettre pour obtenir à nouveau la satisfaction narcissique perdue, ou en devenir d’être perdue, et qui va donc se situer au-dehors de la relation à caractère incestueuse que représente le Moi Idéal.

Pour terminer, Lacan commencera à parler d’un exemple (tiré d’un article d’Anneliese Schnurmann, élève d’Anna Freud, « L’observation d’une phobie »), un cas de phobie censé offrir une vue intéressante justement sur ce passage de la mère symbolique à la mère réelle, et de la construction chez le sujet d’une phobie afin de faire face au manque phallique chez la mère.


[1] Jacques Lacan, La relation d’objet, Seuil, 1994, p.59.

[2] Jacques Lacan, La relation d’objet, Seuil, 1994, p.59.

[3] Jacques Lacan, La relation d’objet, Seuil, 1994, p.60.

[4] Jacques Lacan, La relation d’objet, Seuil, 1994, p.60.

[5] Moustapha Safouan, Lacaniana, Fayard, 2001, p. 61.

[6] Moustapha Safouan, Lacaniana, Fayard, 2001, p. 61.

[7] Nestor Braunstein, « Le phallus comme SOS (signifiant, organe, semblant) » in Depuis Freud, après Lacan – déconstruction dans la psychanalyse, Erès, 2008, p. 107.

[8] Jacques Lacan, « La signification du phallus », in Ecrits II, Seuil, 1999, p.163.

[9] Jacques Lacan, Jacques Lacan, D’un discours qui ne serait pas du semblant, Seuil, 2007.

[10] Jacques Lacan, La relation d’objet, Seuil, 1994, p.62

[11] Jacques Lacan, La relation d’objet, Seuil, 1994, p.63

[12] Jacques Lacan, La relation d’objet, Seuil, 1994, p.66

[13] Jacques Lacan, La relation d’objet, Seuil, 1994, p.66

[14] Jacques Lacan, La relation d’objet, Seuil, 1994, p.67

[15] Jacques Lacan, La relation d’objet, Seuil, 1994, p.66

[16] « LACAN – Oui, petit a est une fonction que j’ai inventée pour désigner l’objet du désir. Petit a est ce que Winnicott appelle l’objet transitionnel… J’ai eu la chance de faire la connaissance de Winnicott. »

[17] Alain Vanier, « Winnicott et Lacan, Lacan et Winnicott », in Winnicott avec Lacan, sous la direction de Catherine et Alain Vanier, Hermann, 2010.

[18] http://www.hopital-marmottan.fr/documentation/pmb/opac_css/index.php?lvl=notice_display&id=957

[19] Le Fourn Jean-Yves , « Les enfants jouent-ils encore ? » Game-boy et jeux vidéo, Enfances & Psy, 2001/3 n°15, p. 48.

[20] Gaon T. (2009), « L’échappée virtuelle : Futur délice ou délit de fuite ? » in La Lettre de l’enfance et de l’adolescence, revue du GRAPE, « Tous addicts ? », n°77, décembre 2009, Erès.

[21] Jacques Lacan, La relation d’objet, Seuil, 1994, p.67

[22] Jacques Lacan, La relation d’objet, Seuil, 1994, p.67

[23] Jacques Lacan, La relation d’objet, Seuil, 1994, p.67

[24] Jacques Lacan, La relation d’objet, Seuil, 1994, p.68

[25] Jacques Lacan, La relation d’objet, Seuil, 1994, p.69

[26] Jacques Lacan, La relation d’objet, Seuil, 1994, p.70

[27] Patrick Delaroche, De l’amour de l’autre à l’amour de soi, Denoël, 1999.

[28] Michael Balint, Amour primaire et technique psychanalytique, Payot, 2001, ou encore Le défaut fondamental, Payot, 2003.

[29] Patrick Delaroche, De l’amour de l’autre à l’amour de soi, Denoël, 1999, p. 61.

[30] Jacques Lacan, La relation d’objet, Seuil, 1994, p.71

[31] Notamment avec ce que les deux notes sur l’enfant à Jenny Aubry résument. Elles ont été publiées par Jacques-Alain Miller dans : Jacques Lacan, Autres écrits, Paris, Le Seuil, 2001, p. 373-374.

[32] Sigmund Freud, « Des transpositions pulsionnelles, en particulier dans l’érotisme anal », in Œuvres complètes, tome XV, PUF, 1996.

[33] « Le rôle de la mère, c’est le désir de la mère. C’est capital. Le désir de la mère n’est pas quelque chose qu’on peut supporter comme ça, que cela vous soit indifférent. Ça entraîne toujours des dégâts. Un grand croco­dile dans la bouche duquel vous êtes — c’est ça, la mère. On ne sait pas ce qui peut lui prendre tout d’un coup, de refermer son clapet. C’est ça, le désir de la mère.

Alors, j’ai essayé d’expliquer qu’il y avait quelque chose qui était ras­surant. Je vous dis des choses simples, j’improvise, je dois le dire. Il y a un rouleau, en pierre bien sûr, qui est là en puissance au niveau du clapet, et ça retient, ça coince. C’est ce qu’on appelle le phallus. C’est le rouleau qui vous met à l’abri, si, tout d’un coup, ça se referme. », in Jacques Lacan, L’envers de la psychanalyse, Seuil, 1991, p. 129.

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2 réponses à “La dialectique de la frustration (12/12/1956)”

  1. #1. Mehdi D. le 22 septembre 2011 à 21 h 44 min

    Un article de plus qui donne toujours autant envie de se (re)plonger dans le sujet. J’ai aussi pour mémoire, et sans grande surprise les premiers chapitres du séminaire X sur l’angoisse qui reviennent beaucoup sur les notions, de manque, d’objet, etc…

  2. #2. admin le 22 septembre 2011 à 22 h 00 min

    Merci Mehdi de ta lecture.
    J’ai dans l’idée de me plonger dans l’angoisse également .. ;o)
    J’aimerais écrire un truc sur le jeu vidéo et l’angoisse.
    Ce qui serait bien, ce serait d’arriver à y inclure l’angoisse selon Winnicott également…
    VLC.

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