Alan Mathison Turing, sur les traces de l’Intelligence Artificielle : Introduction

Paris, le 6 avril 2011.

Introduction

« Pourquoi Alan Turing n’est-il pas plus connu du grand public ? »[1], telle est la première question que pose Hervé Le Guyader dans sa préface au livre de Hodges, sur lequel par ailleurs je me baserai pour parler de la vie et de l’œuvre de ce personnage énigmatique et fascinant, dans cette série d’articles que je vais essayer d’écrire à partir de Turing, et que je voudrais voir dériver vers l’étude de  l’intelligence artificielle, y compris dans ses applications dans les jeux vidéo.

Cette question, « Pourquoi Alan Turing n’est-il pas plus connu du grand public ? », me poursuit également depuis une intervention que j’avais faite à dans le cadre du Réseau Adolescents du 93 en mars 2010, dont le thème était « Virtualités adolescentes ». J’avais évoqué Alan Turing, comme le père de l’informatique, et je me suis aperçu à la réaction de l’assistance qu’en fait, il semblait que peu de monde connaissait son existence. Aussi, j’ai donc décidé d’écrire sur ce destin de cet homme dont les travaux ont contribué à bouleverser l’univers scientifique et technique du vingtième siècle.

2012 sera également l’année du centenaire de sa naissance, ce qui apportera de nombreuses occasions pour parler de lui. Raison de plus pour commencer un peu en avance ! Mais je crois également que le discours empruntant des métaphores à l’informatique s’est imposé, évidemment dans les sciences cognitives (ce que je voudrais essayer d’explorer également), mais également dans notre langage courant. Les partis politiques doivent aujourd’hui « changer de logiciel » ! Expression, à mon sens, bien significative de nos représentations. Je pense que ce serait peut-être plutôt le hardware qui devrait être changé… Cette distinction entre hardware (le matériel informatique lui-même, l’ordinateur au sens physique) et sofware (le logiciel, les programmes qui vont tourner sur le matériel) n’est pas issu directement des travaux de Turing, mais de ceux d’un très grand mathématicien contemporain de Turing, à savoir Von Neumann. Nous y reviendrons plus tard.

Fils d’un fonctionnaire colonial britannique en poste en Inde, né en Angleterre en 1912, Alan Turing ne vécut jamais en Inde, mais resta en Angleterre dans des familles d’accueil puis dans des internats scolaires. Il fut toujours rebelle et atypique au regard des conventions sociales qui régnaient dans ces public school, ces établissements privés censées former la future élite britannique. Son homosexualité le conduisit à tomber sous le coup de la même loi qui avait fait condamner Oscar Wilde à deux ans de prison. Et face au « choix » qu’on lui laissa, l’emprisonnement ou la castration chimique, Turing choisit la seconde option, ce qui lui coûta a priori la vie (on suppose que son « traitement médicamenteux » entre en grande partie dans les raisons de son suicide). Terrible perte pour l’humanité. Il se suicida le 7 juin 1954, il avait seulement quarante et un ans. Son corps fut incinéré le 12 juin 1954 au crématorium de Woking.

Récemment, Gordon Brown, a publié en 2009 sur son site des excuses officielles pour la manière épouvantable » et « inhumaine » avec laquelle fut traité Alan Turing, en raison de son homosexualité. [2]

Dans le futur premier « épisode », (Je reprends ici, en forme de clin d’oeil, la méthode de narration de mon ami JC Dardart. S’il me lit, je le remercie pour cette idée !), je poursuivrai plus en détails ces aspects biographiques.

Tout d’abord pourquoi a-t-il bouleversé l’univers scientifique et technique du vingtième siècle ? Outre le fait qu’il fut un héros de la guerre pour ses travaux en cryptographie, et un grand mathématicien et logicien, les questions qu’il s’est posées au sujet de l’informatique, notamment dans le second article que l’on retient généralement de lui, écrit en 1950, « Les ordinateurs et l’intelligence »[3], sont, il me semble, encore d’actualité, et méritent d’être mieux connues. Le premier article étant « Théorie des nombres calculables, suivie d’une application au problème de la décision »[4], écrit cette fois en 1936.

Turing a été poursuivi sa vie durant par des questions autour des relations « corps-esprit ». Et j’aimerais également réussir, plus tard, à examiner comment ses recherches en logique mathématique visaient à essayer d’apporter des réponses à ses questions.

Aussi, dans un premier temps, nous allons nous attacher à retracer quelques éléments de la vie de Turing, tout au moins jusqu’à ses premiers travaux qui l’ont fait véritablement connaître, à savoir sa solution au problème de la calculabilité, en 1936.

Puis j’essaierai, dans les limites de mes compétences en mathématiques, de déplier quelques enjeux du contexte et des problèmes dans lequel il évoluait et qui l’ont mené à proposer sa solution en termes de machine logique. Il me faudra alors me pencher sur Hilbert, autre grand géant de l’histoire des mathématiques, afin d’essayer d’exposer ce que l’on a appelé « le programme formaliste », qui a abouti donc aux théorèmes d’incomplétude de Gödel, et aux « machines de Turing » sur lesquelles je reviendrai plus tard.

Alan Turing, sur les traces de l’IA : Episode 1

Alan Turing, sur les traces de l’IA : Episode 2

Alan Turing, sur les traces de l’IA : Episode 3

Alan Turing, sur les traces de l’IA : Episode 4

Alan Turing, sur les traces de l’IA : Episode 5

Alan Turing, sur les traces de l’IA : Episode 6

Alan Turing, sur les traces de l’IA : Episode 7

Alan Turing, sur les traces de l’IA : Episode 8 – la machine de Turing, première partie

Alan Turing, sur les traces de l’IA : Episode 9 : La révolution des mathématiques, Turing et la matière numérique

Alan Turing, sur les traces de l’IA : Episode 10 : la machine de Turing – seconde partie

Alan Turing, sur les traces de l’IA : Episode 11 : Turing en héros de la seconde guerre mondiale

Alan Turing, sur les traces de l’IA : Episode 12 – Turing et la course aux premiers ordinateurs


[1] Andrew Hodges, « Alan Turing ou l’énigme de l’intelligence », Payot, 1983, 1988, pour la traduction française.

[2] Lire : http://webarchive.nationalarchives.gov.uk/+/number10.gov.uk/news/latest-news/2009/09/treatment-of-alan-turing-was-appalling-pm-20571 ou l’article de Jérôme Fenoglio du monde paru le 15 septembre 2009 : sorryAlan.pdf

[3] Alan Turing, « Les ordinateurs et l’intelligence », in La machine de Turing, Alan Turing, Jean-Yves Girard, Seuil, 1995.

[4] Alan Turing, « Théorie des nombres calculables, suivie d’une application au problème de la décision », in La machine de Turing, Alan Turing, Jean-Yves Girard, Seuil, 1995.

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7 réponses à “Alan Mathison Turing, sur les traces de l’Intelligence Artificielle : Introduction”


  1. [...] Pour Cassou-Noguès, l’article de Turing finit même par nous donner une définition de la calculabilité comme « résultat logique fondé dans l’imaginaire. »[3] Vous pouvez lire sur Turing ici. [...]


  2. [...] Vincent LE CORRE – Psychologue – Psychanalyste − Alan Mathison Turing, sur les tr… [...]


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  4. [...] Vincent LE CORRE – Psychologue – Psychanalyste − Alan Mathison Turing, sur les tr… [...]


  5. [...] background-position: 50% 0px; background-color:#222222; background-repeat : no-repeat; } vincent-le-corre.fr – Today, 9:38 [...]


  6. [...]   [...]


  7. [...] « Pourquoi Alan Turing n’est-il pas plus connu du grand public ? »[1], telle est la première question que pose Hervé Le Guyader dans sa préface au livre de Hodges. On essaiera d'y remédier ici en parlant de la vie et de l’œuvre de ce personnage énigmatique et fascinant.  [...]

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