Le dispositif vidéo-ludique au service de l’élaboration psychique

par Grégoire Latry, Vincent Le Corre

Voici le début d’un article écrit par Grégoire Latry et moi-même, qui vient de paraître dans la revue de l’Université Lyon II CANAL PSY.

Son numéro 109 a été coordonné par Guillaume Gillet, et s’intitule « Cliniques du numérique et médiations thérapeutiques ». On y trouve des articles de Guillaume Gillet, Geoffroy Willo, Anne Brun, Yann Leroux, Fanélie Chomette.

“Cette singularité ne peut se faire entendre que si on laisse à chacun le choix de dire avec ses mots ce qui se joue dans sa vie. Pour cela, il s’agit d’inventer un lieu où le sujet pourra mettre du jeu dans ce qui constitue son impasse”
Lacadée, P. L’éveil et l’exil.

Cet article est né d’une discussion, non sans désaccords, entre les deux auteurs, à partir de la rencontre entre les interprétations respectives de leur expérience autour d’un jeu dont il sera donc question ici. Comme Stéphane Natkin l’a écrit dans son ouvrage Jeux vidéo et médias du XXIème siècle1, le jeu vidéo tend à devenir un paradigme pour les médias du 21ème siècle. Aussi, il semble presque “naturel” que nombre de jeunes gens, qui ont grandi en jouant et en suivant l’évolution du jeu vidéo, tentent de s’approprier ce média afin d’en faire aujourd’hui leur moyen principal d’expression voire de création. Il ne s’agit alors plus pour eux de simplement jouer, mais de “jouer à produire”, à l’aide de différents outils actuels dédiés à la création vidéoludique, c’est à dire, finalement de devenir eux-mêmes des créateurs de mondes vidéoludiques.
De manière analogue à certains processus créatifs, celui d’un jeu vidéo peut-il devenir un lieu d’élaboration de conflits ou traumas pour un sujet ? Autrement dit, le processus de création vidéoludique peut-il être un possible espace de sublimation mettant à la disposition d’un sujet de la matière à représenter et un lieu où exercer sa créativité au sens de Mélanie Klein, à savoir un lieu de réparation des objets internes et externes ?2
A travers cette question, nous souhaiterions inviter le lecteur (non-joueur ou pas) à poser ainsi un regard clinique sur le jeu vidéo qui puisse potentiellement faire de cet objet un outil pour construire ce “lieu d’où” le sujet prend parole, et dont parle Philippe Lacadée dans son ouvrage.

Sans rentrer dans le débat même sur les rapports entre jeu vidéo et art, ou peut-être, pour nourrir cette discussion sans mobiliser directement le concept d’art, nous voudrions nous attacher ici à montrer combien la programmation vidéoludique est avant tout une pratique créative et ludique du code informatique, et de ce fait, comment il peut être mobilisé par certains sujets dans un processus consistant à tenter de partager certains éléments de leur réalité psychique avec d’autres sujets, et par là à essayer de les transformer. Cet aspect du jeu vidéo renforce selon nous l’importance de son statut d’objet culturel.

Enfin, dans le but de démontrer la pertinence de cette proposition nous avons pensé qu’il serait d’autant plus intéressant de mettre l’accent sur l’analyse d’un jeu vidéo dans cette perspective, afin de démontrer qu’il est possible d’aborder certains jeux vidéo à l’instar de ce que fait maintenant depuis un moment la psychanalyse avec les oeuvres littéraires ou cinématographiques.

1- L’investissement du médium jeu vidéo au service de la création, de l’expression et du travail autour des éléments de sa propre histoire

2- Un exemple de jeu, Papo&Yo, visant la mise en représentation et la figuration de l’expérience traumatique

  1. Stéphane Natkin, Jeux vidéo et médias du XXIème siècle, quels modèles pour les nouveaux loisirs numériques, Vuibert, 2004 []
  2. “La douleur du deuil vécue dans la position dépressive et les pulsions réparatrices développées pour reconstituer les objets aimés internes et externes sont le fondement de la créativité et de la sublimation”, Hanna Segal, Introduction à l’oeuvre de Mélanie Klein, p.90 []

mot(s)-clé(s) : , , ,

You can leave a response, or trackback from your own site.

Répondre